Deux ou trois jours s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’Emma et moi s’étions parlé. Maintenant, entre nous deux, il ne semblait y avoir quoi que ce soit : cette dernière ne portait plus attention à moi, même lorsque je tentais de lui adresser la parole ou même de lui proposer un combat au corps à corps. Parfois, je n’avais même pas droit à une simple réponse… À chaque fois, je m’en sentais vexé, mais je revenais toujours vers elle, sans doute parce que j’étais désespérément optimiste ou alors j'aimais bien souffrir moralement. Je voulais que notre relation soit comme avant, ou mieux encore, évolue vers quelque chose… d’autre. Mais là n’était pas le pire : c’était que je pensais avoir une chance avec elle, aussi minime soit-elle, compte-tenu des propos que j’avais tenus, lors de cette soirée… Mais l’important était que je ne le pensais plus vraiment désormais, non? Je l’avais réalisé fort probablement un peu trop tard, mais Hokori n’était pas de ces gens qui cherchaient à me faire du mal.

Ainsi, lors d’un jour d’entraînement, où je m’étais permis une fois de plus de l’observer de loin, je décidai d’aller vers elle pour aller lui parler, lui demander ce qui se passait, que j’avais bien constaté qu’elle me semblait beaucoup plus distante à mon égard. Je ne voulais pas que nous restions ainsi. Cette femme, je l’aimais et je n’avais pas envie que cet épais mur de briques qu’étaient les tensions entre nous deux nous sépare. Tout ce que je désirais, c’était de l’avoir dans mes bras, qu’elle cesse de me fuir comme si j’étais un monstre qui lui voulait du mal. Je voulais retrouver ses lèvres et sa chaleur, même si je n’avais pas pu y goûter très longtemps. C’était aussi simple que bonjour; j’avais besoin d’Emma.

J’allai la rejoindre en arrivant par derrière elle, ne voulant pas que cette dernière cherche à s’éclipser en me voyant arriver. Je la saisis sans douceur par le bras, ne voulant pas qu’elle me glisse entre les doigts à nouveau.

—Viens Emma, j’aimerais te parler de quelque chose.

Fidèle à mes habitudes, je n’en fis qu’à ma tête : ses protestations, si elle en avait, je n’allais pas y faire attention. Même si cette dernière chercherait à se débattre pour se défaire de mon emprise pour ne pas devoir m’adresser ne serait-ce que la moindre parole, je n’allais pas laisser cela me distraire de mon but premier de lui parler pour que tout redevienne comme avant. Je décidai donc de l’emmener avec moi un peu plus à l’écart du groupe tout en lui tenant toujours aussi fermement le bras. Les autres n'avaient pas besoin d'entendre ce qui allait être dit.

Lorsque nous fûmes un peu plus loin, je ne la lâchai pas pour autant. Je cherchais son regard, j’avais envie de retrouver le sublime éclat bleuté de ses yeux.

—Pourquoi tu m’évites et m’ignores? Emma, ce que j’ai dit l’autre soirée avant que tu partes, j’ai réalisé que c’était complètement faux, j’suis désolé. Mais j’suis comme ça, je perçois tout ou presque comme une menace…

Je la rapprochai de moi et lui lâchai le bras pour plutôt la serrer contre moi plutôt fortement, la peur qu’elle décide de me laisser en plan me hantant encore et toujours. Je lui murmurai doucement à l’oreille.

—Tu me trouves lourd, je sais. Mais je t’aime. Je t’aime, je n'ai pas envie d'être séparé de toi pour ce genre de conneries, tu comprends? J’ai du mal à m’y faire, quand tu m’ignores et m’évites. J’ai envie d’être avec toi. Peut-être que tu ne penses plus ce que tu m'as dit l’autre soir, puis si c’est le cas et bien… ce n’est pas bien grave, mais je te demanderais au moins de ne pas m’éviter comme ça… C'est vexant et blessant.

Je lui fis confiance : mon étreinte se desserra pour la laisser respirer un peu mieux. Cela dit, je craignais tout de même qu’Emma profite de l’occasion pour se dégager de mes bras et partir. Je voulais simplement que nous redevenions ami-ami, voire plus peut-être. J’espérais franchement qu’Hokori comprenne et change. Parce que, me connaissant très bien, je savais parfaitement que si elle niait ou me disait qu’elle ne me pardonnait pas, j’allais péter un câble…

Ses yeux… Ses yeux dans lesquels je lisais tant de haine, je ne sus les supporter bien longtemps. Ce que je pouvais être con. Moi et ma stupide peur irrationnelle de me faire trahir par une femme. Cela m’empêchait d’être disons… normal avec elle. Ainsi s’expliquait mes craintes qui m’avaient poussé à la repousser. Mais aujourd’hui, j’étais prêt à faire une croix sur ces inquiétudes pour lui accorder ma confiance.

Cela dit, ses propos ne me laissèrent pas indifférent pour autant : ils me vexèrent surtout. Je comprenais tout à coup l’ampleur de ce que je lui avais dit, il y avait trois jours à peine. Je compris à quel point cela pouvait être blessant de savoir que l’autre nous croit si perfide, si méchant, si manipulateur. Néanmoins, ses paroles m’avaient irrité.

J’ignorai les potentiels regards indiscrets venant de certains soldats qui nous épiaient probablement. J’attrapai doucement sa main alors que pourtant, je serrais les dents étant énervé. Les deux pas qu’Emma avait fait pour se distancer de moi furent perdus : cette dernière était à nouveau près de moi. Je réprimais ma contrariété, la comprimant dans un coin de mon estomac.

L’une de mes mains se glissa au bas de son dos alors que l’autre prit place sur le côté de son corps, à la hauteur des côtes. Pendant une ou deux secondes, je la regardai d’un oeil dont la colère aurait pu être lisible, puis je me mis à l’embrasser fougueusement, ne prenant pas compte de son avis. De toute manière, c’était ce qu’elle voulait, non?!

J’arrêtai quelques secondes après avoir senti quelques regards curieux venant des soldats qui, un peu plus loin semblaient avoir pris une petite pause de leur entraînement pour observer la suite du manège que nous occasionnions. Je les ignorai, bien que leurs comportements m’exaspéraient. D’ici, je pouvais presque entendre leurs rires retenus. J’en fis abstraction, ignorant ces yeux posés sur nous. Je n’éloignai même pas Emma de moi. Ils allaient être contents, la rumeur à propos de nous deux était « confirmée », tss…

—Et puis quoi encore?! Ouvre les yeux, ‘tain! Tu oublies la fois où on a presque couché ensemble. J’avais vraiment envie de toi, mais tu sais, j’ai su passer par-dessus pour éviter que tu m’en veuilles à mort le lendemain. Non, ça c’est vraiment pas important non plus, pas vrai! J’ai su me contrôler rien que pour toi, alors que pour aucune autre femme je n’aurais fait ça! Ni toutes les fois où je me suis démené rien que pour que tu restes au camp… Rien que pour que je puisse continuer à te voir… Et sache-le, ce n’est pas parce que tu embrasses quelqu’un que ça veut nécessairement dire que tu tiens à cette personne, ni même que tu as de l’attirance pour ce dernier, merde! J’crois que j’en suis la preuve vivante, à force de baiser, baiser et encore baiser, sans jamais RIEN ressentir! Maintenant, j’imagine que tu vas dégager, parce que j’ai osé dire le fond de ma pensée, j’me trompe?!

Ma voix avait prit un ton très irrité, presque agressif. Mais je ne l’avais toujours pas repoussée, j’avais toujours mon regard planté mon regard dans le sien. Je savais bien que j’allais regretter d’avoir été aussi rude, d’avoir élevé le ton, mais tant pis, ça allait être les problèmes de plus tard.

Emma réalisa ENFIN ce que je ressentais à son égard. J’avais bien fait d’ouvrir ma grande gueule pour aboyer presque, plutôt que de chigner comme un chiot. Au final, notre querelle avait su nous emmener à une évolution dans notre relation… Restait-il que sur certains points, je lui en voulais un peu. Comme par exemple, lorsque nous nous disputions, c’était toujours moi qui devais aller vers elle, sans quoi nous ne nous réconcilions jamais… Et aussi pour ce qu’elle m’avait dit un peu plus tôt, mais nous pouvions au moins nous considérer comme quittes.

Elle m’expliqua ensuite les conséquences que ce baiser allait avoir sur elle. Je regrettai aussitôt de m’être laissé emporter par mes sentiments. En aucun cas je n’avais voulu empirer sa condition au sein des autres soldats. Maintenant je ne pouvais plus revenir en arrière, tout comme je ne pouvais pas non pas non plus réparer ça. J’allais me ronger les sangs à me l’imaginer devoir s’essuyer des regards méchants et désapprobateurs.

Alors que je pensais à une façon de réduire le contre-coup de mes actes, la sonnerie, brusque et un peu trop forte à mon goût, me fit sursauter. Ils partirent tous, à l’exception d’Emma. Elle restait là, visiblement impatiente qu’ils partent pour que nous soyons seuls.

Le silence plongé au camp d’entraînement, la poussière retombant au sol, Hokori se rapprocha de moi, jusqu’à ce que cette dernière soit contre moi. Je sentis ses mains froides se glisser sous ma chemise, puis des frissons parcoururent mon corps. Alors que la soldate appuya sa tête contre mon torse, je ne pus m’empêcher de l’enlacer. À mon insu, je lâchai un petit soupir de bonheur. J’étais bien, avec elle contre moi, je ne voulais plus qu’elle quitte mes bras.

Après quelques fabuleuses secondes passées l’un contre l’autre, je relevai doucement son menton et posai à nouveau mes lèvres contre les siennes, croyant que je pouvais désormais l’embrasser sans problème.

Lorsque nos lèvres se séparèrent, je lui murmurai doucement quelques mots.
—Emma, je suis désolé, c’est de ma faute si les soldats te regardent de travers, ce soir… Si tu veux, je me débrouillerai pour qu’ils cessent, d’accord? Ne m’en veut pas…

Je commençais déjà à avoir la queue entre les jambes, à être un peu plus soumis… Mais je tenais réellement à lui plaire. Quitte à devenir faible.

Je rajoutai aussi autre chose, pensant aux autres qui allaient sans doute se rendre bien vite compte de son absence, puis ils allaient sauter aux conclusions hâtives, bien évidemment.

—Tu devrais aussi te rendre au réfectoire, ils vont se rendre bien vite compte du fait que tu ne sois pas là et se mettraient à se faire des idées…

Après ces comportements amoureux, peut-être un peu trop poussés pour l’endroit où nous nous trouvions, qui ne m’avaient pas laissé indifférent, elle s’excusa d’avoir agi ainsi, alors que moi, j’avais beaucoup apprécié cela. Des pensées peu catholiques avaient même traversé mon esprit, mais je décidai de les garder pour moi. J’étais un homme, il était bien normal que de telles idées se présentent à moi lorsqu’une femme aussi sublime qu’Emma se montrait aussi passionnée…

Puis, d’un rire qui me fit craquer, la demoiselle dont j’étais amoureux s’était mise à rire. Elle me semblait heureuse. C’était quand elle était heureuse qu’elle était le plus joli. Aucune femme n’égalait sa splendeur, ni même son caractère bien chiant par moment que pourtant j’appréciais tant. Je souris également pour ma part, d’un sourire heureux aussi véritable que l’était son rire. Tous les deux étions comblés par le simple fait de savoir que nos sentiments étaient réciproques et partagés.

—Je t’aime aussi, Emma.

Je lui caressai doucement la joue un peu, tout en la regardant dans les yeux, conservant mon sourire. Une idée pour lui éviter les regards des autres m’était venue en tête. Peut-être trouverait-elle la solution un peu radicale et que ça allait vite en affaires, mais moi… je trouvais que c’était une merveilleuse idée. On était tous les deux gagnants : en plus de lui éviter les autres qui la regarderaient de travers, moi, j’allais pouvoir être en bonne compagnie, une fois le soir tombé.

—Et pour ton souci avec le regard des autres, j’aurais peut-être une idée… mais faut-il encore que tu sois d’accord. Ça peut te paraître un peu rapide mais… que dirais-tu de dormir dans ma chambre de temps en temps, voire peut-être même tout le temps…? Et puis si l’idée de dormir dans le même lit que moi te gêne bah… t’auras qu’à endurer, c'est tout.

Je toussotai un peu, me rendant compte de ce que je venais de lui balancer. J’avais un peu dit ce que je voulais réellement dire, mais je regrettai aussitôt.

—Je veux dire, je dormirai au sol, bien évidemment.