Pour lui faire plaisir, j’avais invité Emma au restaurant. Je m’étais débrouillé pour l’emmener à un restaurant où elle se sentirait à l’aise, c’est-à-dire un restaurant où l’on mangeait bien, mais sans pour autant que ce dernier soit de la plus haute gamme de restauration de Wonderland. Tout aurait dû être parfait, mais au final, je fus celui qui fut le moins à l’aise. Même qu’intérieurement, j’étais en état de panique. Des hommes regardaient Hokori, ou du moins, je m’imaginais qu’on la regardait désireusement, qu’on voulait me la voler. Mes fabulations me firent réaliser à quel point j’avais de la chance d’être avec elle… et à quel point j’avais envie de l’enfermer dans une cage, de l’enchaîner, de l’empêcher de voir qui que ce soit, de ne la laisser passer du temps qu’avec moi et de ne la laisser penser qu’à moi, quitte à la frapper si la moindre de ses pensées fut pour une autre personne que moi. Je savais qu’il y avait tellement mieux que moi pour elle, après tout. Mais moi, j’avais terriblement besoin d’elle : même en si peu de temps, je l’avais deviné. Au sens figuré, c’était elle qui tenait la laisse reliée au collier de chien que j’avais au cou, j’étais dépendant d’elle. De toute manière, c’était toujours ainsi, dès que j’étais « pour de vrai » en couple…

Une chose était certaine, c’était que plus jamais je n’allais l’inviter en ville. Cette soirée avait été absolument horrible.

Nous sortîmes un peu tôt du restaurant, ayant sorti l’excuse que j’avais un soudain mal de crâne, bien que la véritable raison que je veuille partir était que les regards imaginaires posés sur Emma me rendaient absolument malade. Je voulais simplement me glisser sous les draps et la serrer contre moi, oubliant tous ces autres connards auxquels je n’arrivais probablement même pas à la cheville et dont, un jour ou l'autre, l'un d'eux volerait ma place à ses côtés…

Je n’avais pas envie de parler, nous marchâmes donc vers le camp dans un silence de plomb. Le ciel était couvert, mais par quelques percées entre les nuages nous pouvions y deviner quelques étoiles un peu moins timides que celles qui se cachaient.

Puis, un peu plus loin, j’aperçus la silhouette d’un homme se dirigeant dans notre direction. Aussitôt, comme par peur qu’on me vole mon « bien », je passai un bras autour de la taille d’Emma en la rapprochant de moi, comme si cela était une quelconque façon de démontrer qu'elle était mon « territoire » ou je-ne-sais-quoi.

L’homme se rapprocha encore et toujours, me rendant un peu plus craintif, comme s’il nous connaissait. Dès que ce dernier fut suffisamment proche, je le reconnus. Effectivement, il nous connaissait autant que nous le connaissions. C’était Alexi Miller. Et merde, pas lui...

Je le regardai, sans rien dire, bien qu’au fond de moi, je craignais qu’Emma lui porte trop d’attention, étant donné qu’ils ne devaient pas s’être vus depuis la dernière fois… J'avais simplement envie de dégager avec Emma.

On m’arracha Emma des bras, chose qui me mit hors de moi. Alexi la serrait contre lui, laissant ses sales pattes sur ma chérie. J’avais dû mal à contenir toute cette jalousie, toute cette rage qui m’animait, que je cachais derrière ce simple sourire. Mes poings serrés, j’étais prêt à lui donner un coup de poing d’une telle puissance qu’il aurait tôt fait de regretter d’avoir osé toucher, voire même d’avoir adressé la parole à Hokori. Je perdais un peu mon sang froid (oui parce que voyez-vous, on ne peut pas "avoir le sang-froid à vif"..), tant que j’avais l’impression de pouvoir laisser ce masque ridicule qu’était mon sourire à tout moment pour pouvoir sacrer une volée à Alexi. Après tout, de quel droit se permettait-il de l’étreindre ainsi?

Le pire dans tout cela, c’était que je voyais un magnifique sourire radieux aux lèvres d’Hokori, comme si ça lui faisait plaisir qu’un autre homme que moi la serre dans ses bras. Je sentais que d’ici la fin de la soirée, j’allais avoir cessé de compter de combien de centimètres j’aurais usé mes prémolaires du côté droit, à force de grincer des dents… Je leur en voulais à tous les deux, mais à Alexi surtout. Ma main se glissa à l’endroit où mon revolver aurait dû se trouver, question de le menacer de lâcher Emma, puis l’absence de ce dernier me rappela que bien évidemment, j’étais en tenue de civil, et donc aussi inoffensif qu’un chien que l’on aurait muselé. Je gardais ce sourire idiot, même si la situation ne m’était pas du tout agréable et pire encore, que je ne pouvais rien y faire. L’attention d’Emma était tournée vers une autre personne que moi, et ça, j’allais malheureusement devoir l’accepter sans même rechigner. Et ce, même si l’autre personne en question se trouvait être l’un de mes ennemis jurés.

Je restais planté là, m’efforçant de les écouter attentivement pour ne perdre aucun mot de ce qui se disait. Je faisais la décoration alors que j’avais une folle envie d'arracher la jugulaire à même les dents à ce type, exactement comme un chien le ferait. Et malgré tout, je restais calme, rien que pour Emma, et j’espérais qu’elle comprenait à quel point je faisais des efforts pour elle…

La deuxième partie de la conversation ne me laissa pourtant pas aussi indifférent que j’avais su l’être plus tôt. Pour la première fois de la soirée, je laissais paraître des signes d’énervement visibles : j’avais cessé de sourire et je lançais un regard noir de haine à Alexi. Son ton me parut aussi cinglant qu’une insulte directe à ma personne. J’avais l’impression que ce dernier avait parlé comme si je n’étais pas le genre de personne qu’il fallait à Emma. Ces jugements, bien qu’ayant sans doute leurs parts de vérité, il se permettait de me les faire sans même connaître ce que j’étais. Je pouvais être l’homme le plus romantique, le plus attentionné, le plus amoureux… tout comme le plus violent. Ce côté brutal auquel il avait goûté quelques fois d’ailleurs, il semblait presque vouloir resurgir, de toute manière.

Alors que je m’imaginais qu’Emma prendrait au moins un peu ma défense, étant donné que j’étais devenu une part du décor et que j'étais devenu silencieux, cette dernière se permit de remuer un peu plus le fer dans la plaie. Elle était heureuse et c’était ça le principal, heh? Ça sonnait presque comme si elle donnait raison à cet autre con. Non je n’étais pas le genre d’homme idéal pour elle (ce que j’approuvais quand même un peu…), mais tant pis, l’important c’était qu’elle était heureuse, bien sûr! Au moins, je venais d’apprendre une leçon, cette soirée-là. Lorsque tous les deux réunis, j’avais constamment l’impression qu’ils planifiaient contre moi et jusqu’à preuve du contraire, c’était bel et bien le cas. En même temps, c’était un rebelle et elle, son ami… Mais j’allais me contenter de fermer ma gueule, jusqu’au moment où ils me sauteraient à la gorge pour de bon…

Je pris discrètement une bonne respiration pour me sentir un peu mieux et ne pas péter une durite.

—Il y a un problème? Alexi, tu ne me sembles pas réellement d’accord à ce que je sois en couple avec Emma. C’est dommage que ton opinion n’aie aucune incidence, quand même, mais…

Je m’interrompis pour saisir un peu brusquement le poignet de celle qui se trouvait désormais entre deux partis entre lesquels une guerre allait peut-être s’annoncer. Je l’attirai jalousement vers moi, avant de reprendre mes propos, sans pour autant la libérer de la forte étreinte de ma main à son poignet.

—Je te demanderais tout de même de ne pas mettre tes sales pattes sur elle.

Au final, j’étais presque certain que j’allais me prendre de ces vents si intersidéraux qu’ils en étaient sidérants. Après tout, eux qui étaient teeeellement heureux de se retrouver s’en fichaient de mon avis. Je ne lâchais pas pour autant le morceau et je continuais de dévisager l’autre, que, à tort, je considérais comme un rival.

Après qu’Alexi ait dit une fois de plus de la merde inintéressante, ce qui ne m’étonnait pas venant de lui, il se permit de me lancer de ces regards haineux qui ne m’affectaient guère. Pour ma part, je m’efforçai de répondre avec un regard tout aussi noir que le sien, rapprochant jalousement un peu plus ma copine vers moi. Je n’allais certainement pas la lui céder rien que parce qu’il disait que j’étais brusque avec elle. Comme Emma m’avait dit une fois, elle n’était pas faite en porcelaine. Et ce n’était pas comme si ça n’avait pas été mérité non plus…

Alors que je soutenais le regard du jeune homme blond face à moi, je sentais la colère monter toujours un peu plus en moi. J’avais clairement l’impression que j’allais lui sauter à la gorge d’une seconde à l’autre… J’espérais ne pas en venir à ce point, ne voulant pas mal paraître devant Emma. Ah ça non, elle n’aurait sûrement pas apprécie qu’une bagarre se déclenche entre moi et son ami…

Cela dura jusqu’à ce que je sente la main d’Emma tenir la mienne. Comme par magie, ma rage s’était atténuée d’un seul coup. J’étais désormais bien plus calme, bien que cela n’avait pas suffi à faire disparaître toute cette haine que je portais à Alexi. Je me permis de serrer un peu la main d’Emma, sans chercher à lui faire mal comme quand je lui avais saisi le poignet.

Puis, elle nous demanda de cesser de nous chamailler, ou d’être « civilisés », comme elle le disait si bien. Comme j’en avais pris un peu l’habitude, je n’allais pas rechigner et aller à l’encontre de ce qu’elle avait dit. J’étais presque certain qu’Alexi allait me faire la remarque que j’étais soumis, que c’était un fantassin qui dirigeait le général plutôt que le contraire, mais ce n’était pas pour autant que j’allais me débrouiller pour déplaire à la femme que j'aime.

—J’suis désolé, Emma… Je me tais, j’ai compris.

Je rajoutai en chuchotements un "Mais c’est quand même pas de ma faute si ton ami est un gros connard", que j’espérais qu’elle n’aie pas entendu.

Après cela, ça ne m’empêchait toujours pas de regarder mon "rival" avec autant de haine que précédemment. Je devais juste me taire le temps qu’ils échangeaient, ni plus ni moins, donc je pouvais bien me le permettre.

Alexi se mit à rigoler, chose qui m'agaça encore un peu plus. Je sentis la main qui tenait la mienne se serrer un peu, mais je n'y fis guère attention, étant trop occupé à me contrôler. Ce jeune homme savait quoi faire pour que je me sente attaqué et vexé, cela se voyait. J'aurais même juré que ses rires étaient destinés à me faire péter un plomb plus qu'autre chose. Probablement qu'il se moquait de moi parce que j'étais devenu soumis et doux envers Emma, que je faisais tout pour lui plaire. Je ne ressemblais en rien à l'homme qui avait forcé son amie à le torturer, encore moins à celui qu'il avait dû combattre lors de cette manifestation où je m'étais éloigné de mon groupe : ce devait être cela qui le faisait marrer, qu'en la présence de celle que j'aimais, je perdais ma nature de chien indomptable qui montrait les crocs dès que l'occasion se présentait.

Le rebelle offrit un sourire à Emma qui, à lui seul, avait suffi à décupler mon envie de frapper ce jeune homme. De quel droit lui souriait-il ainsi? Miller s'excusa par la suite, un peu trop chaleureusement à mon goût. Je continuai à le regarder avec le même regard noir de haine, même si toute son attention semblait concentrée sur ma soldate préférée.

Il fit mine de s'intéresser à elle, à ce qu'elle vivait au camp, à ce qu'il y avait de nouveau dans sa vie, tout en ignorant ma présence. Je n'aimais pas devoir rester silencieux alors qu'un homme était si près de celle que j'aimais. Je ne contrôlais pas la situation comme d'habitude, tout n'allait pas comme je le désirais et ça, j'avais du mal à l'accepter.

Soudainement, sans que je ne m'y attende, Emma lâcha ma main pour se diriger vers son ami. C'est là que je remarquai que, pour une raison bien obscure, elle semblait bien fâchée. À ses paroles, je devinai aussitôt ce qui l'avait mise dans cet état : le fait que l'on se soit moqué de moi. Je fus surpris de sa réaction, mais tout le contraire de déçu. Mon intention n'avait pas été de les monter l'un contre l'autre et de briser leur amitié, même si j'aurais préféré qu'ils se détestent.

Je me permis de profiter de la situation pour insupporter un peu le blond. J'avais promis de ne pas parler, mais pas de ne pas sourire. Ainsi, dès que mon regard croisa celui d'Alexi, je lui fis un sourire dont le message était aussi clair qu'immature. Et bien comme ça, looser, à ce que je vois elle me préfère à toi, n'est-ce pas? était le fameux message. Et, bien évidemment, Emma étant dos à moi, elle ne put rien voir de cela…

L'idée que mon comportement n'était pas digne de celui d'un adulte me vint à l'esprit. Cela ne m'arrêta pas pour autant, bien évidemment…

Dès que ma chérie se retourna pour revenir à mes côtés, j'effaçai toute trace de sourire dans mon visage, question qu'elle ne se doute de rien et qu'elle ne se fâche pas contre moi comme cela avait été le cas pour Alexi. Je préférais encore jouer les victimes plutôt que de montrer ma rancoeur face à son ami. De cette façon, j'étais presque assuré que ma chérie allait être de mon côté, pas du sien. À croire que j'étais de ces gens hypocrites et manipulateurs… Seulement, la dernière chose que je voulais, c'était qu'elle me déteste.

Je rapprochai Emma de moi, question de la calmer un peu. J'allais jouer les gentils, pour une fois, puisque de toute façon, j'avais tout à y gagner et presque rien à y perdre. Je savais que si leur amitié se terminait ainsi, un jour ou l'autre, c'était sur moi que le blâme allait tomber. J'allais devoir me faire avec le fait que ma copine était amie avec un garçon, mais au moins elle n'allait pas m'en vouloir. (Du moins, pas pour ça.) Je ne le faisais pas pour elle ou pour lui. C'était sûrement ça qui rendait la chose si égoïste.

—J'suis pas vexé qu'il se soit moqué de moi, t'emportes pas comme ça, Emma.

La réplique d'Alexi me fit réaliser à quel point il parlait sans tenir compte du fait que j'étais bien là, que je pouvais bel et bien entendre tout ce qui se disait. Comme s'il était au courant que, malgré ce que ma véritable nature me dictait, je ne montrerais pas les crocs, que je faisais le soumis à celle qui m'avait laissé une chance. Je n'étais néanmoins pas resté sans réactions. Face à ses mots dont le fond de vérité m'avait vexé, je serrai les poings. Il était bien vrai que je n'étais pas digne d'Emma. Que je ne savais pas la protéger. Que si j'avais su prendre soin d'elle, cet homme n'aurait même pas pu effleurer sa peau. Malheureusement pour ce sale môme, il ne m'avait rien appris pour l'instant à propos de ma véritable valeur. Je savais déjà tout ça. Au moins, pour me rassurer, je pouvais me dire qu'il valait encore moins que moi, ce connard.

Suite à ses paroles, comme si j'étais devenu à nouveau visible, ce sale rat posa sur moi un regard qui exprimait parfaitement toute la haine qu'il portait en ma personne. Ses yeux n'eurent pas le moindre impact sur moi, contrairement à ses mots précédents. Pas la moindre ombre de sourire moqueur planait sur mes lèvres, aucun signe d'agacement ne me trahissait. L'envie de l'égorger sur place était toujours présente, mais moins difficile à maîtriser que plus tôt.

Ou du moins, pour un certain temps seulement. Son regard se riva à nouveau sur Emma. Ce simple contact visuel qu'ils eurent ne fit que raviver un peu plus ce besoin insensé qui m'animait lorsque j'étais aux côtés de la femme que j'aimais. Celui de la garder pour moi et rien que pour moi, d'empêcher qui que ce soit d'autre de lui parler, de la toucher et même de la regarder. Je serrais les dents et continuais de contrôler cet animal en moi qui voulait éloigner les mâles qui rôdaient autour de sa femelle. Je ne devais pas déclencher une bagarre entre moi et ce bâtard. Les chaînes que je m'imposais m'empêchaient de faire une connerie...

Emma ne répliquait pas aux paroles de son ami, je décidai donc de faire comme si elle me laissait simplement répondre à sa place. J'allais suivre les recommandations que je lui avais faites, soit répondre calmement, et accessoirement, j'allais penser pour une fois avant de parler.

...
Ou pas. Qui avait dit que je savais penser avant d'ouvrir la bouche, après tout? Haha.

—Je ne sais pas prendre soin d'elle, tu as sans doute raison. Au moins, j'ai l'argent pour la rendre heureuse. Ça comble le fait que je sois un enculé, si? T'as peut-être la "belle" personnalité, mais moi j'ai le portefeuille. C'est déjà un bon point non? Avec moi au moins, elle vivra comme une princesse et sera traitée comme. Elle demandera et elle aura.

Je me mordais déjà les doigts de ce que j'avais dit. Je n'avais pas atteint la connerie à son paroxysme, ce qui était une bonne chose, mais maintenant, je passais pour un matérialiste qui ne devait se souciais qu'au nombre de zéros de son montant en banque. Ce qui devait être au moins un peu mon cas... Néanmoins, nier que je ne pouvais pas rendre heureuse une femme grâce à cela, même superficiellement en lui offrant tout ce qu'elle voulait matériellement, était idiot. Après tout... recevoir aura toujours été plus agréable que de donner. À moins que ce n'était que mon éducation d'enfant unique et pourri gâté qui me faisait croire cela.