Moi, je le fais confondre ses sentiments? Je pourrais très facilement m'expliquer et tout deviendrait clair. Le baiser n'avait rien d'amoureux, ce n'était que pour le déstabiliser et me défaire de son emprise. Le câlin, pour me réconforter moi-même et un peu lui en même temps. Et pour le fait que je m'amuse bien trop souvent à le charrier, ne dit-on pas que qui aime bien châtie bien? Et vu comment je prends plaisir à taquiner Ruby, il faut le dire, je l'aime beaucoup!

C'est vrai que c'était mal, qu'un serviteur dans le genre de Ruby ressente quoi que ce soit envers moi, le roi, son maître. Et si c'était le cas, j'aurais préféré tout simplement que la situation soit différente. Que nous ne soyons pas dans une relation maître-serviteur. Peut-être que si nous avions été des amis, cela aurait été mieux?

Sans oublier qu'il avait mentionné éprouver quelque chose pour moi, donc forcément, c'était un sentiment. Qu'était-ce? Il avait réussi à réveiller deux choses en moi que je croyais endormies pour toujours. Je voulais absolument savoir ce que c'était et j'espérais secrètement que ce soit l'amour, qu'il éprouvait pour moi. Sans doute parce qu'il n'y a jamais eu personne qui m'ait vraiment aimé pour la personne que je suis vraiment et non l'image de prince parfait que je me donnais, pendant mon adolescence.

—Éprouver quoi? Sois précis, Ruby. Je ne peux pas tout deviner, tu sais.

J'avais besoin qu'il me le dise en me regardant bien dans les yeux. Je voulais voir quelle émotion allait se dessiner sur son visage, lorsqu'il allait me le dire. Peut-être que ce n'était pas ce que j'avais envie d'entendre, mais j'en avais envie tout de même. Rien que de voir une émotion transparaître sur le visage de Ruby, c'était un phénomène plutôt rare. Doucement, je relevai son menton pour pouvoir voir ses beaux yeux. Je plantai mon regard dans le sien. Mes yeux n'avaient rien perdu en tendresse. J'avais l'impression d'avoir découvert une autre facette de moi-même. Celle-ci était beaucoup plus gentille.

Je me sentais presque victorieux. Ça caressait dans le sens du poil ma fierté, il faut bien le dire. Quelqu'un était tombé amoureux de moi alors que je ne jouais pas le jeu du parfait prince bien élevé! En gros, enfin quelqu'un qui m'appréciait pour mon vrai moi. Même si, à bien y repenser, cela était tout simplement impossible. Comment est-ce que l'on pouvait m'aimer comme je suis réellement, après tout? Je ne suis qu'un connard qui se délecte du mépris et du malaise des autres.

Mais bon, cela n'importait peu. Quelqu'un m'aimait, c'était déjà surprenant. Probablement qu'il en avait marre de son statut de serviteur et qu'il voulait monter en grade, être plus puissant. Et bien s'il voulait me manipuler de la sorte, il allait devoir mieux le faire que ça. En me faisant tomber amoureux de lui, puisque je ne ressentais aucun amour envers lui, par exemple. Je ne ressentais que de l'attirance à son égard. Je savais pertinemment que c'était mal, qu'un homme ait de l'attirance envers un autre, mais c'est la vie. Quoi qu'il en soit, cela l'avantageait pour arriver à ses fins. Il allait probablement facilement atteindre un peu du pouvoir que j'exerçais sur la population.

Au moins, il restait à ce vulgaire serviteur qu'il le savait bien : il n'avait aucune valeur, sans moi. Ce n'est qu'un gamin qui ne retrouverait sans doute pas sa famille, si on le relâchait dans la ville. Je suis son centre d'intérêt, il l'admet, il mériterait presque une récompense pour ça.

—C'est vrai que sans moi, tu ne vaux rien, je te le confirme, Ruby. Mais si tu m'aimais réellement, tu ne serais pas en train de me confesser ton amour, mais plutôt t'arranger pour que ce soit moi qui te l'avoue. Fais-moi tomber amoureux de toi.

Je n'étais pas encore redevenu moi-même. C'était cet autre côté de moi, inconnu, qui m'animait, si on peut le dire comme ça. Si j'avais été comme d'habitude, je lui aurais sans aucun doute rit au nez avant de me remettre à l'embêter. J'espèrais qu'il profitait bien du fait que j'étais ainsi avec lui, parce que c'était certain que cela n'allait pas arriver très souvent.

Je suis quelqu'un de trop contradictoire. Lorsqu'il m'avait fait sa déclaration, j'étais heureux. Mais un peu après, j'avais la haine...

Pourtant, qui sait ce qui se passe dans son crâne probablement vide. Si j'avais été amoureux de quelqu'un, j'aurais tout fait pour que celui-ci soit amoureux de moi. Je l'aurais traité comme ma reine et j'aurais tout fait pour que ce dernier ne puisse pas se passer pas de moi. Ruby, lui, tout ce qu'il a fait, c'était de garder cela enfouit au fond de lui, sans jamais rien faire pour me plaire, ou même se distinguer des autres. Non, parce que Ruby, tout ce qu'il a fait, c'était de se fondre aux autres serviteurs. De plus, quand on est amoureux, la vie semble plus belle, on est plus heureux. Mais lui, il est resté avec sa putain d'absence d'émotion, comme d'habitude. Nous ne serons jamais un couple, c'était certain. Il n'était pas prêt à lever le moindre petit doigt pour moi, il en était de même pour moi à propos de son cas.

Il ne méritait tout simplement pas mon amour. Comme tous les autres. Personne sur les terres de Wonderland n'était fait pour moi. Si je voulais réellement l'amour, je devais aller chercher plus loin que dans mon royaume. Pour l'instant, ma vie amoureuse et sexuelle inexistantes me suffisaient amplement. Je ne ressentais pas spécialement l'envie d'être en couple. Encore moins avec un imbécile dans son genre. Je n'éprouvais absolument rien à son égard, sauf des envies de meurtres.

C'était après la deuxième fois qu'il prit la parole que je commençai à vraiment m'énerver, bien que je tentais bien que mal de me calmer. J'aurais pu lui donner un coup de poing au visage, sans aucun remords. À vrai dire, j'avais une affreuse envie de battre Ruby, le voir pleurer, le voir trembler devant moi, et ce jusqu'à ce qu'il s'éteigne, à force d'encaisser de bons coups de bottes à cap d'acier dans les côtes. Lui qui disait que le mieux pour moi était de seulement abuser de ses services, il semblait tout simplement me dire indirectement que l'amour me laissait indifférent, froid. De plus, il disait que lui, il l'était, humain. Comme si moi, je ne l'étais pas. Ce crétin ne me connaissait pas du tout. Après, il se disait amoureux de moi? Amour et attirance sont deux choses bien distinctes.

Je contenais toute ma colère, tant que je m'étais tut pour ne pas sortir une connerie, comme je le ferais si bien. L'autre connard brisa le silence.

Et à ce moment-là, je ne pus plus en prendre. J'attrapai brusquement le col de la chemise de ce gamin qui me servait de serviteur, puis je le rapprochai bien de moi pour pouvoir le transpercer de part en part d'un regard glacial, menaçant, voire même meurtrier. Il se moquait carrément de moi et il allait le payer.

—J'te hais. Rien qu'à voir ta gueule d'abruti, j'ai envie de t'arracher les tripes, vivant. T'aimes te foutre de moi, hein?! J'vais te tuer. Au moins, j'aurai débarrassé l'humanité d'une ordure dans ton genre, connard! Si tes parents t'ont vendu, c'était pour ne plus avoir un tel boulet dans la famille. Et maintenant, c'est nous qui sommes enchaînés à ce boulet! Personne ne veut de toi, après tout, j'me trompe?!