La nuit était tombée et l’endroit à surveiller était les quartiers défavorisés. Ces deux conditions, elle les détestait, mais une fois réunies, c’était pire encore. Cet endroit puant  et dégoutant lui donnait des frissons d’effroi, avec tous ces gens peu fréquentables. Et la nuit, elle, la chair de poule : à chaque coin de rue, Illy avait l’impression qu’un monstre affamé la fixait avec de grands yeux luisants dans le noir. Bien évidemment, ce genre de choses n’étaient jamais survenu, mais… cela l’effrayait tout de même. Eh oui, dans l’Unité Spéciale, certains des soldats semblaient être de véritables poltrons, des trouillards.

Marchant dans ces rues sales qui ne ressemblaient en aucun point à celles du quartier où elle avait vécu, Ravenscliff ne pouvait s’empêcher de jeter quelques petits regards à droite et à gauche, comme pour voir si un danger la guettait. Tout était silence, tant que les seuls bruits des battements rapides de son petit coeur la faisait sursauter.

Ses pas, elles les faisaient presque sur la pointe des pieds, craignant de réveiller ces monstres, qui n’étaient que le produit de son imagination, qui se tapissaient dans l’obscurité, bercés par les doux bras de Morphée… Malgré l’adrénaline qui s’était emparé de son corps de la tête jusqu’à la pointe des pieds, elle pensa au confort de son lit. Elle continua de marcher malgré tout, faisant abstraction de son envie de s’endormir aux dortoirs du camp plutôt que de faire son tour de garde.

Elle arriva à une ruelle. Tout ce qui avait de plus inquiétant, en bref. Il faisait un peu plus sombre que dans les rues principales, ce qui ne fit qu’empirer son inconfort vis-à-vis cet endroit dégoutant qu’était les quartiers pauvres. Sa main se posa instinctivement sur la crosse de son arme, prête à être dégainée en cas de danger. Son coeur battait à mille à l’heure, ses mains étaient moites et la jeune fille en avait presque des sueurs froides. Oui, elle avait peur. Peut-être même qu’elle avait la trouille de sa vie, si on ne comptait pas cette escapade en forêt qu’elle avait faite une fois avec son « amie ».

Tout à coup, l’adolescente s’arrêta net, entendant des pas qui ne semblaient pas être les siens. Des tremblements de terreur se mirent à secouer son petit corps fragile, tant qu’elle en fut paralysée. Quelqu’un s’approchait vers elle. Aussitôt, elle sortit son arme à feu et le pointa vers le nouveau venu.

—N.. N’approchez pas!

Ce fut les seules paroles qui purent sortir de sa bouche. Sa voix était tremblante, tout autant que le corps de celle-ci d’ailleurs.

Quelques pas résonnants de plus vers la petite fille suffirent à la terrifier davantage : les tremblements qui secouaient son corps se firent plus grands et ses yeux s’était emplis de larme de terreur. Ah ça oui, quelle soldate brave et courageuse! Elle n’arrivait même plus à bouger, tant la paralysie, poison de la peur, avait envahi chacun de ses muscles et articulations.

Son souffle se coupa immédiatement lorsque la silhouette fut distinguable : un homme, grand, qui lui semblait plutôt baraqué, des cheveux noirs et des yeux dorés. Aussitôt, la petite su mettre un nom à la personne qui se tenait devant elle. Elliot, Elliot Middleton, celui dont la tête valait un gros montant d’argent, étant à la tête de la rébellion. Les muscles de la jeune demoiselle furent si tendus qu’ils semblèrent vouloir se déchirer… Les pas de recul qu’elle eut voulu faire furent bien inutile : comme plus tôt, ses jambes ne voulurent pas répondre aux messages que lui envoyaient son cerveau.

Malgré les paroles qui auraient dû se faire réconfortantes, Ravenscliff resta planté devant le chef de la rébellion, figée, à le regarder droit dans les yeux comme pour percevoir chacun de ses agissements pour éviter qu’il lui fasse mal, ou pire encore. Son arme était toujours braquée vers lui, bien que cela n’ait donné rien, puisque même ses doigts n’auraient pas voulu bouger pour appuyer sur la gachette.

Néanmoins, la gamine réussit au moins à remuer les lèvres pour pouvoir parler, bien que ses paroles ne furent qu’une reprise de ce qu’elle avait dit plus tôt.

—N’approchez pas… s’il vous plait…

La réaction de l’autre à la suite de ses supplications surprit la pauvre petite créature effrayée, bien que sa terreur garda encore et toujours le dessus sur elle. Mais le plus surprenant fut sans aucun doute la façon dont il l’avait appelée. Mademoiselle. En temps normal, Illy l’aurait prit en compliment, mais sa peur l’empêchait de prendre en compte cela, non. Tout ce que cette petite loupiote de l’armée pensait, c’était de sauver sa peau, alors qu’ironiquement, c'était comme si ses pieds étaient coincés dans le ciment. Au moins, cet homme ignoble, celui dirigeant tous les rebelles, ne s'approchait plus. À moins que ce ne soit que la ruse du renard pour mieux sauter à la gorge du lapin…

En le voyant glisser sa main dans la poche de son pantalon, la jeune garde poussa un faible gémissement terrifié, croyant que son interlocuteur allait brandir une arme contre elle, aussi idiote fusse cette idée, étant donné que jamais un revolver n’aurait pu y être caché. Ainsi, plutôt que de sortir une dague ou un pistolet, le jeune homme sortit plutôt une cigarette et un briquet, qu’il alluma aussitôt. Le tison de cette dernière offrait une lumière douce et apaisante, qui enleva, rien que par cette faible luminosité, un peu du côté effrayant d’où ils se trouvaient.

Elliot reprit, d’un ton qu’elle aurait presque qualifié de doucereux. Si doux qu’elle en aurait été peut-être vexée en temps normaux, percevant très bien la pitié cachée sous cette « gentillesse ». L’homme aux yeux dorés lui demanda deux petites questions, auxquelles Ravenscliff aurait tant apprécié éviter pour ne pas devoir affronter ce terrible brigand dont la tête valait un prix énorme.

Je sais très bien qui vous êtes, effectivement. Et ce que vous êtes également : vous êtes une personne ignoble, ni plus ni moins, aurait-elle adoré lui lancer, avant de s’enfuir à toutes jambes. Si la ville de Wonderland était autant en désordre aujourd’hui, c’était bien par la faute de celui qui dirigeait ceux qui voulaient se venger du roi. L’Unité Spéciale n’aurait jamais eu à voir le jour, si tout le monde se serait tenu à carreau et aurait accepté les (mauvais) choix du roi. Probablement que cette ville serait meilleure si ces rébellions et révoltes à la con n’auraient jamais eu lieu, selon Illy.

Néanmoins, jamais ses pensées ne devinrent des mots… Elle se contenta de jouer la carte de l’innocence, comme pour éviter de mettre en rogne celui qui pouvait l’anéantir d’un simple revers de la main. D’une voix toujours tremblante, se contentant de répondre un ramassis de mensonges, question de ne pas être reconnue ni de le mettre en rogne. Les jambes de l’adolescente réussirent enfin à recevoir les indications que lui envoyait son cerveau : cette dernière fit deux pas vers l’arrière, accompagnés d’un faible entrechoquement des chaînes qui la reliait à cet énorme cadenas qui cadenassait le carcan qu'elle avait autour du cou.

—Non, je ne sais pas qui vous êtes… je m’appelle Hazel…

Illy sentait le regard de son interlocuteur sur elle. Cette dernière ne s’en sentit que plus mal à l’aise, préférant faire à nouveau un pas vers l’arrière. L’arme toujours en main, bien qu’elle n’oserait pas appuyer sur la gâchette, le canon du revolver était dirigé un peu plus sûrement vers le jeune homme qui ne faisait qu’éterniser la conversation, plongeant toujours un peu plus la gamine à la frayeur procurée par le fait d’être face au cruel et sanguinaire Elliot Middleton, chef du groupe qu’elle combattait.

Par la suite, toujours en usant de cette politesse maladive qui aurait pu être flatteur, il lui fit remarquer ce truc qu’elle avait autour du cou. Sans même se gêner, d’ailleurs, l’homme lui demanda si c’était les rebelles qui lui avaient mis cela autour du cou. Aussitôt, Illy crut qu’il fut encore bon de mentir. La première chose qui lui traversa l’esprit fut la première chose qu’elle dit. Quitte à ce que cela paraisse bien ridicule.

—P-Pas du tout! …C’est un accessoire de mode très en vogue, cette saison-ci..

Aussi peu crédible qu’était ce mensonge, de Canterville espérait encore et toujours qu’il y croit et qu’il la laisse partir. Ce n’était pas de sa faute si, lorsqu’elle s’était éveillée à la suite de cet enlèvement, toutes ses chaînes lui avaient été retirées, mis à part celles autour du cou. Peut-être que son sauveur n’avait pas trouvé la clé, ou alors il avait simplement pris le soin de laisser cela ainsi pour la retrouver plus facilement et ainsi l’abattre d’un coup. Parce que, croyez-le ou non (mais bien sûr que vous le croyez…), avoir une telle chose autour du cou ne vous fait pas paraître inaperçu.

Et d’ailleurs, pourquoi le jeune homme s’acharnait-il à rester là plutôt que de rebrousser chemin pour emprunter une autre issue qui le mènerait à sa demeure? On aurait presque dit que ce dernier faisait tout pour effrayer la pauvre petite créature qui ne devait que continuer à faire son tour de garde…

Ce ton de complaisance excessive qu’usait sans cesse Elliot avec Illy laissa sa place à un autre qui lui parut cette fois-ci plus dur, plus froid. Cela ne fit que détendre à peine la jeune demoiselle, celle-ci était désormais certaine que le chef de la rébellion ne tentait plus de la manipuler avec cette fausse gentillesse.

Ravenscliff apprit rapidement que cet être perfide qui se trouvait face à elle avait percé à jour ses mensonges, chose qui n’avait probablement pas été très difficile. De plus, elle réalisa qu’il n’était ni plus ni moins que celui qui l’avait libérée des rebelles qui l’avaient enlevée. Ce regard si sérieux qu’il lui lançait lui indiquait qu’il disait tout sauf des mensonges et pourtant, l’adolescente continuait sans cesse à tenter de se convaincre qu’il n’était pas celui qui avait réussi à la sauver. Non, parce que son sauveur n’était pas un monstre sanguinaire dans son genre. Au mieux, c’était simplement un fidèle qui était tombé sur elle par accident ou simplement un rebelle qui n’était qu’un traitre. Mais certainement pas… le chef de la rébellion en personne, celui dont la tête valait certainement des millions de dollars, celui qui dirigeait ceux qui foutaient le bordel dans Wonderland. En bref, sans doute l’homme le plus horrible qui soit de cette ville.

Prise d’un élan de courage, elle réussit à appuyer sur la gâchette de son arme. Le canon de son revolver ne visait malheureusement pas la cible : la balle ne fit que filer près de l’oreille du jeune homme. Merde, maintenant il va me tuer..! Elle fit de nouveaux pas vers l’arrière, n’osant pas faire dos à son adversaire. Sans baisser son arme à feu, toujours en le regardant bien dans les yeux, prête à détaler tel un lapin si le moindre signe d’agressivité de son ennemi se faisait remarquer. Elle lui lança, de façon presque menaçante si sa voix n’avait pas été tremblante :

—C’est faux… Je sais ce que vous êtes. Vous êtes ni plus ni moins qu’un monstre! Par la faute de votre rébellion, des gens meurent tous les jours… Wonderland aurait pu aspirer sans doute à des jours bien meilleurs si quelqu’un comme vous n’avait jamais vu le jour! Cette guerre perdure depuis déjà quelques années parce que vous refusez de vous soumettre au roi comme tous les autres qui ont été assez intelligents pour ne pas se retourner contre Sa Majesté, comme tout bon peuple l’aurait fait. Vous espérez quoi en voulant trancher la tête du roi?! Le remplacer peut-être!?

Malgré l’expression froide qui avait soudainement voilé le visage d’Elliot suite aux mots durs d’Illy, cette dernière remarqua la tristesse dans les yeux de celui à qui elle avait dit tout ce qu’elle pensait à son propos. La jeune soldate n’adoucit pas pour autant son regard. Cette dernière était certaine, non, savait que cette tristesse qu’elle lisait en lui n’était pas réelle. Les monstres n’avaient pas de sentiments et leur seul but d’exister était d’anéantir, de tuer. Les insultes que cette gamine lui avait lancées n’avaient eu aucun impact, c’était certain. Tout cela n’était que du jeu, Ravenscliff n’allait pas se laisser duper par cet homme si ignoble.

Et en plus de jouer les victimes, le chef de la rébellion se permit de tenter de démentir ce qui apparaissait comme la pure vérité aux yeux de la garde. Ses paroles ne suffirent guère à la convaincre, bien au contraire. Le fait qu’il mentait autant et sans aucun remords la répulsait complètement. Le pire dans tout cela était que le jeune homme insinuait que de Canterville ne faisait que s’appuyer sur ce qui courrait à propos de ce dernier dans la ville, mais pourtant, elle ne se fiait qu’à son jugement. Bien souvent, la jeune adolescente avait pu assister à des affrontements entre rebelles et soldats de l’Unité Spéciale, elle pouvait affirmer avec certitudes que la majorité de ceux qui s’étaient révoltés ne voulaient que tuer le roi, quitte à tenter de décimer tout opposant, pacifique ou non. Elliot était leur représentant, donc forcément identique à eux.

D’un regard toujours aussi dur, mais cette fois-ci avec une voix un peu plus assurée, elle riposta.

—Ce que vous dites, cette fausse tristesse que je lis dans vos yeux : ce ne sont que des preuves en plus que vous êtes horrible. Votre petit jeu de manipulation ne fonctionne pas sur moi. Vous savez tout simplement bien mentir. L’Unité Spéciale vous mènera à votre perte. Vos plans qui mèneront Wonderland à l’anarchie ne verront jamais le jour, je vous rassure!

Elle se permit de le regarder quelques secondes avec la même hargne. La peur ressentie dès les premières minutes de leur rencontre semblait s’être désormais entièrement dissipée pour laisser place à l’adrénaline, qui lui avait permis de tirer et de s’exprimer convenablement. Même ses mouvements n’étaient plus paralysés par le poison de la peur. Dès que ces quelques secondes de dévisagement furent finalement écoulées, la demoiselle aux cheveux noirs décida de fuir pour éviter de mourir d’une balle dans le coeur. Elle n’allait certainement pas le dire à son général, puisque ce qu’elle venait de faire n’était ni plus ni moins qu’un acte de désertion. Les problèmes n’étaient pas ce qu’elle recherchait, après tout…