Le général était bien au camp d'entraînement, mais surtout physiquement plutôt que d'esprit : il était fatigué, donc beaucoup moins concentré. Ainsi, un peu plus fréquemment qu'à l'habitude, le blond décrochait, se mettait à fixer un truc et hop, il était perdu dans ses pensées. Le général s'était endormi à une heure plutôt tardive, voire même matinale, après tout, il pouvait bien se le permettre.

Ou pas. De l'agitement du côté droit du camp le tira de la lune, mais il n'y porta pas plus d'attention que cela. Il y avait l'un de ses inférieurs (dites sous-fifres), et ce dernier devait sans doute bien gérer la situation! C'était son job, après tout. Ces soldats étaient sous sa tutelle à lui, pas sous celle d'Akemi. Alors, il n'y jeta qu'un simple coup d'oeil peu concerné, ne prenant même pas la peine d'identifier les auteurs de tout ce boucan, pour ensuite retourner vaquer tranquillement à ses occupations.

À peine quelques minutes écoulées, le bruit d'une détonation d'un revolver retentit. Putain mais quel incompétent, même pas capable de gérer une petite bagarre entre soldats, au point où ça dégénère à ce point?! Le haut-placé était tout sauf fier de cette personne x qui devait s'occuper de cette équipe. Il avait même eu envie de les laisser là, voir comment il se débrouillerait si le flingueur se décidait à tirer plus que son adversaire. Néanmoins, ce fut son bon sens qui reprit le dessus et il se dirigea vers ce bordel.

Avant de dégager ceux qui se trouvaient autour des deux soldats pour aller voir ce qui se passait concrètement, le blond avait lancé un regard réprobateur à l'officier qui était en charge de ce groupe, lui transmettant le message que tout ceci était dû à son incompétence.

Ensuite, il vit Sakura et un autre homme. Ils étaient au sol, la demoiselle s'acharnait sur son frère d'arme qui lui, avait le bras en sang. Pendant l'espace d'un instant, l'intervenant de la situation ne bougea pas. Ce n'était pas de la stupéfaction, encore moins de l'horreur, mais plutôt de l'amusement. Ce mec s'était fait cloué au sol par une meuf? Il avait envie d'éclater de rire, mais ne le fit pas, ne cherchant pas à humilier qui que ce soit (du moins pour l'instant).

Question de déstabiliser celle qui avait pété un plomb, Asaki qui donna un coup bien placé dans les côtes. Profitant de ce moment crucial de distraction, il la repoussa brutalement du pied pour l'écarter du soldat. Néanmoins, il ne cloua pas Yoshida au sol, ne croyant pas que la maîtriser allait être nécessaire. Au pire, il allait se prendre un coup, tout simplement, même s'il était presque certain qu'elle n'allait pas oser le frapper.

—Tu te calmes oui?! T’as tiré sur l’un de tes coéquipiers, merde! T'es folle ou quoi?!

D'un regard fielleux, la jeune femme aux cheveux roses me toisa d'un air qui aurait probablement été censé me glacer le sang, chose qui échoua lamentablement. Je soutins son regard, ne craignant aucun coups bas de sa part. Comme si une femme pouvait égaler un homme, côté force, après tout. Lui rendre ses coups n'allait pas être tâche ardue. Ainsi, je continuais de la transpercer de mon regard, n'attendant que riposte de sa part.

Sa tête se baissa un peu. J'eus l'impression de me tenir devant l'un des chiens de ma race, baissant la tête pour mieux vous fixer dans les yeux, mieux sonder le fond de votre être de par les fenêtres de votre âme. Je n'abandonnai pas, elle ne m'effrayait pas du tout. Au contraire, j'avais l'impression qu'elle me narguait, qu'elle me lançait un défi. Non, je ne me tenais plus devant la gentille et douce demoiselle d'hier, mais devant ce que je pouvais clairement appeler un animal enragé.

Aboyant si fort que j'en fus légèrement ébranlé, Sakura me hurla de fermer ma gueule, de ne pas m'interposer, que je ne savais pas ce qui se passait, de dégager pour ensuite me répéter de me taire. Mon assurance quant à la combattre directement en fut légèrement effritée, mais de très peu. Tant que j'eus su passer rapidement par-dessus cela.

Puis, elle se leva, dégainant son épée. S'attaquant de nouveau à plus faible qu'elle, la jambe du jeune homme déjà blessé fut transpercée par la lame. De terribles cris de douleur qui ne m'atteignirent pas pour autant jaillirent de la bouche de celui sur lequel cette folle semblait avoir jeté tout son courroux.

Je me jetai aveuglément sur la femme armée, sans doute pris d'un quelconque élan suicidaire. L'épée qu'elle tenait fermement en main ne m'effrayais en aucun point, tout comme son regard qui, tout aussi tranchant que la lame de cette arme blanche, ne m'avait point fait frémir.

Sakura se retrouva violemment immobilisée au sol. Mes mains se refermaient à son cou, l'étranglant ainsi, ignorant tant bien que mal la douleur des coups qu'elle m'assénait. Je savais bien ce que je faisais, j'étais sûr de moi. Je n'allais pas la tuer, simplement la priver d'oxygène jusqu'à ce que sa colère se calme au moins un peu. Le sang lui avait un peu trop monté au cerveau!

Ainsi, elle se débattait les premiers instants, puis se détendit peu à peu. Dès que je la sentis suffisamment calme, j'enlevai mes mains de sa gorge, la laissant ainsi à nouveau fournir à son corps l'oxygène qui lui avait manqué. Je me relevai, mais ne lui offrit pas ma main pour l'aider à se relever. Je m'étais plutôt remis à la regarder bien dans les yeux, scrutant le moindre de ses mouvements pour éviter que Yoshida se relève d'un bond pour se venger. Son cou zébré de rouge me rassurait néanmoins quant à cette probabilité, elle avait dû avoir sa dose.

Toujours concentré sur chacune de ses réactions, je lui lançai, sans émotion apparente :
—Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu t'en prennes à ce type? Être dans l'armée ne signifie pas simplement savoir habilement mettre fin aux jours de ceux dont on a eu l'ordre de tuer, mais c'est aussi savoir se contrôler pour ne pas que de telles situations surviennent!

La demoiselle avec qui j’avais été probablement trop violent se releva, sans le moindre empressement. Je me sentis aussitôt coupable et excessif d’avoir utilisé tant de violence pour remettre en ordre ses idées, sachant que la dernière fois que ce genre de situation était survenu, je n’avais pas été si rude et brutal.

J’eus droit à un magistral vent en guise de réponse. J’aurais dû m’énerver et réclamer des excuses, mais je ne le fis pas, ayant comme l’impression qu’agir ainsi n’allait qu’empirer les choses. Je sus donc tenir ma langue et prendre sur moi-même.

Elle retira l’épée de la jambe de l’homme, celui-ci poussant un gémissement de douleur. Tout en essuyant le sang maculant la lame, Sakura ordonna à l’un des soldats d’emmener les blessés d’aller se faire soigner. Il obéit, ne demandant pas son reste, probablement de peur de subir le même sort que son frère d’arme.

Tandis que Yoshida s’éloignait pour sans doute se retrouver seule, je pris le temps de prendre un peu en considération l’ampleur des dégâts. Du sang au sol, deux hommes ayant été blessés. La moitié des soldats ne sachant pas où se placer ni quoi en penser alors que le reste commençaient à craindre respectueusement celle qui avait causé ce bordel. Et surtout, un silence affreusement pesant. Ce genre d’ambiance que je détestais, pour faire court.

Je décidai donc de dégager d’ici au plus vite et d’aller retrouver Sakura pour essayer de comprendre ce qui s’était réellement passé. Je doutais fort bien que ce coup de sang n’avait été provoqué pour un rien, j’avais besoin de savoir qui était le véritable coupable dans toute cette histoire pour sanctionner le fautif dans cette affaire.

Je la trouvai dans un parcours un peu plus loin d’où nous étions. Des regards des autres soldats, elle s’était cachée. J’étais venu avec une discrétion telle qu’elle ne semblait pas m’avoir remarqué. À quelques pas d’elle à peine, je la regardais, elle, cette jeune femme si vulnérable en cet instant précis. Yoshida était agenouillée par terre, front contre le sol. D’où j’étais, je pouvais entendre ses sanglots. La soldate pleurait, ses larmes étaient vraies : pas comme celles que lâchaient parfois toutes ces vipères que savaient bien être les femmes, sans la moindre pointe de sincérité. Ainsi, sa tristesse m’affecta, bien que de surface je restais froid. Aux premiers abords, je n’avais jamais pu m’imaginer cette demoiselle pleurer, mais pourtant elle était bien là, devant moi, en train de pleurer.

Je fis quelques pas vers elle, abandonnant cette discrétion de tout à l’heure, puis je m’agenouillai près d’elle, un seul genou à terre. Je déglutis, comme pour faire passer cette boule à la gorge que me procurait la vue d’une femme autant peinée. Je posai une main réconfortante dans son dos.

—Hé, Sakura, lui dis-je doucement. Au risque que tu me cries dessus et me dises de dégager ou d’aller me faire enculer, je suis venu te demander si quelque chose n’allait pas et si tu avais envie de parler. Tu as été là pour moi hier soir, alors autant mieux te rembourser ma dette et t’offrir à mon tour oreille attentive. Je ne pourrai fort probablement pas changer les choses et encore moins te conseiller sur quoi faire, mais ça peut faire du bien, je crois.

Sakura releva la tête vers moi, après m’avoir encore donné silence comme réaction à ma question. Je lui offris malgré tout un petit sourire, auquel celle-ci répondit avec un air moqueur, mais triste. Je regrettais d’être venu jusqu’ici dans le but de la réconforter. C’était cela que l’on récoltait, lorsqu’on voulait être gentil? Alors plus jamais je n’allais me donner la peine pour des gens comme Sakura, que je ne connais que depuis peu.

Pour couronner le tout, Yoshida me dit d’aller me faire enculer. Non merci, ça doit faire vachement mal quand même. Malgré tout, je n’allais pas rester ici, si ma présence n’était pas désirée. Au moment où j’allais me lever, la demoiselle se jeta contre moi, se serrant contre moi. Peut-être que cette jeune femme n’avait pas réellement envie que je parte, donc je ne me levai pas et ne la repoussa pas. En même temps, lorsqu’une dame avec autant de poitrine se blottit contre vous, dur de la rembarrer. J’eus envie de me donner une gifle mentale pour avoir eu ce genre de pensées, alors que la dame en question pleurait aussi abondamment.

Je me permis de l’entourer de mes bras pour lui apporter un peu de réconfort. Vu comment elle pleurait, elle devait souffrir affreusement… Je me sentais toujours aussi mal pour elle.

Elle m’avoua ensuite ce qui n’allait pas. Des gens l’insultaient et la jugeaient, chose dont je n’étais bien évidemment pas au courant, n’ayant jamais réellement fait attention auparavant à cette soldate et ce qui se disait autour d’elle. Visiblement, mes soldats aimaient bien s’insulter entre-eux, sachant que Sakura n’était pas la seule qui subissait ce genre de choses parmi les fantassins avec qui je m’entretenais rarement, parfois, régulièrement ou souvent.

J’eus un peu de mal à savoir quoi lui répondre. Mes problèmes, je les avais presque toujours réglés avec la violence depuis que j’étais soldat ici. Or, l’encourager à faire ce qu’elle avait fait plus tôt n’était pas une bonne chose. Je lâchai un soupir.

—Dans ce cas, développe ton sens de la répartie et tes insultes blessantes. Les mots blessent autant, mais la différence, c’est que les blessures sont intérieures, donc on ne les voit pas. Comme ça, je ne risque pas de le remarquer et ensuite de te tomber dessus pour te gronder.

Je marquai une petite pause. J’avais quelques mots en tête que je voulais garder pour moi, bien que ceux-ci semblaient vouloir absolument être exprimés. Tant que je ne sus les retenir.

—Mais bon, franchement, c’était pas mal, ce que t’as fait. Mettre à terre un homme? Je rencontre de plus en plus de femmes qui ne sont pas destinées à rester à la maison à longueur de journée pour préparer des repas, s’occuper des enfants et qui ne servent  pas qu’à procréer. C’est une bonne chose, même si ce serait dommage qu’on ne puisse plus vous contrôler comme maintenant, à la longue, quand même…

J’avais un léger sourire aux lèvres, j’avais murmuré (heureusement). C’était sexiste, oui. Juste un peu, à peine, pas de quoi s’en faire… je crois.

Sakura me lança que j’étais sexiste, que les femmes allaient tôt ou tard dominer les hommes, chose qui me fit sourire moqueusement intérieurement. Les femmes avaient beau être la plus belle des créations de Dieu, mais il n’en restait pas moins qu’elles étaient faites pour s’occuper des enfants et obéir aux hommes, bien que certaines cherchaient peut-être à se démarquer en jouant les plus fortes et en tentant de se déloger de l’autorité masculine. Je n’étais pas sexiste du tout, simplement qu’une grande majorité des femmes se laissaient un peu trop faire, ce qui faisait d’eux le sexe faible. Vous n’avez qu’à regarder autour de vous : des femmes se font violer et agresser sexuellement tous les jours, d’autres se font battre par leurs maris, etc… et vous me direz ensuite que les hommes n’ont pas le dessus sur elles? Cela ne voulait pas pour autant dire que j’étais pour ce genre de choses, bien au contraire, mais les faits étaient là, tout simplement. Je n’y pouvais rien, sauf peut-être défendre l’unes d’entres elles lorsque ce genre d’événements arrivaient sous mes yeux. Cela dit, les hommes étaient clairement les pires dans toute cette histoire de guerre des sexes.

Yoshida releva la tête vers moi, un sourire aux lèvres, malgré quelques larmes glissant encore sur ses joues. Ah, rien ne vaut le sourire d’une femme… me dis-je, un peu fier de l’avoir réconfortée un peu. L’esquisse d’un sourire apparut sur mes lèvres, brisant mon air sérieux habituel.

—Oui bien sûr. Pour l’instant, va me faire cuisiner quelque chose, femme.

Dès que Sakura s’éloigna un peu de moi, je la relâchai. Cette fois-ci, les larmes de la soldate n’étaient plus, comme si elles n’avaient jamais existées. Celle-ci me semblai plus apaisée et détendue, ce qui transforma l’esquisse de mon sourire en un véritable sourire.

Nous dirions ce que nous voulons à propos de moi, mais je n’étais pas si insensible que je le laissais paraître. Parfois, dans un élan d’humanité, je me permettais de prêter attention à la douleur humaine, d’en prendre compte et de ne pas y rester indifférent… mais ça ne devait pas arriver trop souvent : j’étais un soldat. Une machine à tuer, ni plus ni moins. Mon travail en lui-même consistait à causer cette douleur et pire encore, la Mort, après tout.

Je me levai, tendant la main pour l’aider à se relever. Croyant qu’elle était finalement rétablie de toute cette peine, elle pouvait très bien se remettre à la tâche, retourner se tuer d’épuisement à force de courir les parcours, etc. La seule chose qui m’inquiétait un peu, c’était si d’autres personnes nous avaient vus. Bizarrement, lorsqu’une demoiselle se retrouvait dans mes bras, pour quelle que raison que ce soit, certains sautaient aux conclusions hâtives et se mettaient à faire courir certaines rumeurs à mon propos et à celui de la femme en question, dans le camp…

—Je crois que tu peux maintenant retourner à tes entraînements. Et que ça saute. Pour ce qui s’est passé, je te donne une chance pour cette fois-ci.