J'avais décidé qu'un bal aurait lieu ce soir-là. Mais j'avais regretté rapidement cela. Les familles les plus riches de Wonderland avaient été invitées à ce bal-ci, afin de garder de bons contacts avec ceux-ci. Ils avaient une grande influence sur l'économie du pays, alors autant mieux les avoir de mon côté, je m'étais dit.

Mais dès que le bal avait commencé, je me sentais déjà plus ou moins bien. Il y avait trop de gens. Trop de gens qui me regardaient avec un air que je n'appréciais pas. Je m'étais débrouillé pour n'inviter que les familles qui étaient fidèles, mais certaines personnes me transperçaient d'un regard qui voulait tout dire. Il y en avait qui semblait vouloir ma mort, ici, d'après ce que m'indiquait mon imagination bien fertile. Je paniquais presque, bien qu'à l'extérieur je semblais bien posé. Du moins, un peu plus que d'habitude.

La chose la plus sensée qui m'était venue était d'aller auprès des personnes avec qui j'aurais été certain d'être en sécurité. L'Unité spéciale. J'avais bien fait de leur demander de venir. Rien que de penser qu'ils surveillaient la pièce me faisait sentir un peu mieux, mais sans pour autant m'enlever tout le poids de la peur que j'avais sur les épaules. Je me rendis donc vers l'endroit où se tenait l'Unité spéciale, mais dès que je vis une des gardes un peu plus à part, je décidai d'aller vers elle. Si cette dernière s'était mêlée à la foule, on aurait presque pu la confondre avec la riche noblesse. Elle avait un beau visage et de beaux vêtements, bien que ces derniers semblaient moins coûteux que ceux des femmes qui étaient accrochées chacune à un homme, dansant.

Et sans parler de ce magnifique et énorme décolleté. Ce n'était qu'à cet endroit que mon regard était accroché depuis que j'avais remarqué toute cette zone de peau dénudée. Si cette garde aurait été nue, probablement que j'aurais eu la même réaction : me mettre à fixer ses atouts féminins. J'étais peut-être bisexuel aux penchants plus homosexuels, mais je restais un homme. Le corps des femmes m'était bien agréable à l'oeil et m'intéressait. En particulier lorsqu'il s'agissait d'une poitrine généreuse comme celle-ci.

Je réussis à monter mon regard vers ses yeux.

—Haha... Euh.. Bonjour

Cette soldate semblait bien heureuse de me voir. Cela me faisait un drôle d'effet, bien que je ne fis qu'un petit sourire nerveux pour l'exprimer. Il était bien rare de voir des gens qui étaient contents de me voir. Mais j'étais ravi de voir que certaines personnes m'appréciaient, malgré toutes les conneries que j'avais pu faire.

En s'inclinant, je pus avoir une jolie vue de son décolleté, presque plongeante même, mais je m'étais efforcé de ne pas y jeter un petit coup d'oeil. J'étais dans une soirée mondaine, une soirée très chic même. Je ne pouvais pas vraiment me permettre de fixer la poitrine d'une femme. Sans oublier que cela semblait la mettre mal à l'aise, vu le rouge qui lui était monté aux joues, il y avait peu. Je ne voulais pas non plus m'attirer une mauvaise réputation, en plus de celle que j'ai du méchant tyran qui veut tout posséder.

Je nous sentis regardés. Je me retournai vers ces pieux me transperçant presque, mais qui n'étaient qu'en fait des regards. J'avais cru qu'ils provenaient de gens mal intentionnés. À mon grand soulagement, ce n'était que d'autres soldats de l'unité spéciale. J'en lâchai même un petit soupir, plus détendu désormais.

Elle m'adressa la parole une deuxième fois, me disant comme quoi j'étais en sécurité avec eux. Mais juste après, je perdis complètement son attention. Rien que de son regard, elle assaillait le pianiste et son instrument, comme intéressée. Ou plutôt désireuse. Cette garde aurait voulu caresser l'ivoire des touches du piano, produire elle-même cette mélodie qui emplissait la pièce, je le lisais dans ses yeux presque. Je n'avais jamais ressenti un quelconque intérêt pour la musique, mais elle, c'était clair que ça l'intéressait.

—Le piano t'intéresse?

Je n'avais pas touché à une carte des constellations depuis un peu plus de dix années, mais je ne m'en plaignais pas pourtant. À la place d'être roi, j'aurais nettement préféré être astronome, autant qu'elle aurait voulue être pianiste, probablement. Pourquoi devait-elle se plaindre, presque? Bon, elle ne s'était pas réellement plainte, mais pour moi, cela sonnait comme tel Que cette soldate accepte ce qu'elle était désormais.

Ensuite, elle me posa une question, tout en me fixant droit dans les yeux. J'avalai un peu nerveusement ma salive. Elle m'intimidait, elle, son regard et son imposante poitrine. J'avais de la difficulté à ne pas descendre les yeux et continuer de la dévisager. Surtout si c'était pour répondre à une telle question. Pour quoi allais-je passer? Un trouillard? Sans doute. Mais je ne savais pas quoi dire, sauf la vérité.

—Tout simplement parce que ma folie ne me fait pas croire que je suis immortel.

C'était aussi simple que cela. J'avais joué un peu avec les mots, de sorte que je ne passe pas pour un peureux, mais au final, c'était réellement ça. Je savais que j'étais puissant, tant que tout ce pouvoir me rendait un peu fou à certains moments, mais cela ne me faisait pas croire pour autant que la Mort n'était pas dans mes réalités. Bien au contraire : j'avais l'impression que l'Épée de Damoclès était suspendue au-dessus de moi, que le danger pouvait me frapper à chaque seconde. Et ça, ça m'effrayait. Je ne pouvais m'appuyer en personne, sauf peut-être Zane ou Ruby. Le problème dans tout cela, c'était que personne n'était apte à me protéger en tout temps, bien évidemment. Ces deux-là, ils ne faisaient que me faire oublier un peu ma peur. Ils ne faisaient que m'aider à cacher la poussière sous le tapis, alors que celle-ci allait s'accumuler de nouveau, quoi qu'on puisse y faire!

Je restai un peu surpris, à son refus. Pourquoi avait-elle refusé? L'homme qui l'avait invitée n'était pas du tout moche, bien au contraire. Si j'avais été une femme, j'aurais été ravie que ce beau jeune homme aux cheveux noirs de jais au regard cendré ait pensé à moi pour l'espace d'une danse. Bien évidemment, comme j'étais un homme, aucun autre invité de mon sexe n'allait venir me proposer de danser la valse. Au final, ce n'était pas si mal que cela, puisqu'il n'y avait qu'un seul garçon qui avait su attirer mon attention et qui avait su faire naître un certain intérêt amoureux envers ce dernier.

Sakura me proposa d'aller me fondre à la foule, me trouver une partenaire de danse. En bref, profiter du bal comme il m'en était permis, contrairement à elle qui devait rester là, à surveiller les agissements des invités. Le seul problème, c'était qu'aucunes de ces femmes ne m'intéressaient. La sécurité d'être auprès d'un soldat armé me semblait bien plus attrayante que ces dames habillées de robes à dentelles ou à froufrous. C'était bien pour cela que je restais là, au lieu de socialiser comme je l'aurais dû. Je lâchai donc un soupir, avant d'ouvrir la bouche pour commencer une phrase, mais Sakura me coupa.

Cette dernière m'avait dit de rester auprès d'elle. Ah, elle n'avait même pas besoin de le réclamer, je le faisais complètement de plein gré. Mais cela semblait bien soudain. Elle qui parlait de peut-être tenter d'aller me joindre à tous ces gens, avait-elle changer d'avis? C'était bien étrange. Peut-être avait-elle vu quelque chose de suspect? Un homme armé peut-être? Quelqu'un qui voulait ma mort?

La panique s'empara de nouveau de mon corps et de mon esprit. Des tremblements se mirent à agiter un peu mes jambes. J'essuyai une goutte de sueur froide qui avait perlé mon front avec ma manche, sans aucune élégance. Je jetais également de petits coups d'oeil furtifs afin de balayer la pièce, à la recherche de cette potentielle personne qui m'en voulait.

—...Qu'y a-t-il..? Quelqu'un semble dangereux..?

Sa voix me parut rassurante, réconfortante. Cela faisait bel et bien effet sur moi, je me sentais déjà un peu moins tendu. Probablement que si j'avais été seul au beau milieu de cette foule qui me paraissait surtout comme une fosse à lions où le danger aurait été imminent, j'aurais été stressé, elle n'avait donc même pas à me dire de ne pas m'inquiéter. Vu mon attitude, j'étais déjà certain de passer la soirée collé à ses baskets pour ne courir aucun risque.

Elle marmonna quelques paroles à propos de ces "abrutis". Je savais bien qu'elle parlait des autres soldats. Après, n'importe qui aurait pu le deviner, qu'ils étaient les concernés de l'aparté de mademoiselle : certains buvaient du champagne en discutant avec leurs collègues, d'autres sifflaient les jolies femmes qui passaient devant eux et il y en avait même un qui semblait endormir. Ils étaient bien trop distraits. À la vue de tout ce manque d'intérêt quant à la surveillance de cette soirée mondaine, une seule chose m'était venue à l'esprit : l'unité spéciale n'était peut-être pas aussi compétente que je le croyais. Au moins, j'étais bien heureux de voir que Sakura prenait son travail au sérieux, elle au moins.

Après avoir semblé chercher quelqu'un, la soldate me proposa une valse. J'en étais un peu bouleversé, puisque normalement c'était les hommes qui invitaient les femmes à danser. Elle était bien originale, il fallait bien le dire. Je ne savais pas vraiment quoi y répondre, j'acceptai donc.

—Pourquoi pas

Mais une chose me revint à l'esprit, que j'aurais dû penser avant de répondre. La danse était tout, sauf mon point fort. La seule chose que mon père n'avait jamais su m'apprendre, c'était bel et bien la danse. Je connaissais tout dans la théorie, le seul problème était de mouvoir mon corps au rythme et de la bonne façon, surtout. Sachant que c'était l'homme qui, habituellement, menait la danse, à la valse. Un désastre, voilà ce que cela allait donner...

Dawson se sentit réellement idiot. Sa médiocrité en pas de danse fut révélée à la soldate. Au moins, il n'y eut qu'elle qui fut témoin de la disgrâce de ses pas et de ses mouvements malhabiles. Sa majesté n'avait su se mouver au rythme des instruments et ne savait pas non plus où il devait mettre ses pieds. Tout cela pour vous dire qu'au final, les orteils de la femme qui l'avait invitée à danser avaient bien soufferts...

Mais heureusement, la demoiselle eût su habilement prendre le contrôle et le guider. Mener la danse, pour faire histoire courte. Le blondinet eut bien du mal à suivre, mais le résultat était un peu moins catastrophique que si c'était lui qui dirigeait leurs pas. Et puis, soyons francs. Probablement qu'il aurait fait un meilleur travail s'il n'avait pas eu les yeux rivés à la peau découverte en bas du cou de mademoiselle. Un peu plus de concentration pendant la valse ne lui aurait fait mal en aucun cas... Que voulez-vous, il est peut-être bisexuel, mais c'est sans aucun doute un mâle!

Pendant la danse, le blond avait remarqué qu'ils semblaient se rapprocher intentionnellement de deux jeunes hommes qui parlaient. Il n'avait fait aucun commentaire à ce propos, ne tentant que de suivre les pas de sa partenaire tant bien que mal.
Lorsque la danse fut achevée, ils retournèrent dans le coin d'où ils étaient partis. La voix rassurante de la garde expliqua au monarque qu'elle était absolument désolée d'avoir pris ses propres collègues pour des ennemis.

—Aucun problème, ne vous inquiétez pas. Vaut mieux être trop prudent que pas assez, ne croyez-vous pas?

Son interlocutrice lui expliqua à quel point c'était une joie d'être en sa présence pour le protéger. En même temps que cette dernière lui promette d'être plus attentive afin de ne pas reproduire de telles erreurs, le blond se posait une question sans vraiment l'écouter. Comment une habitante de Wonderland pouvait autant l'apprécier? C'était idiot. Pourquoi une telle admiration? Les raisons étaient encore plus obscures, quant à cette question-ci également.

—Ce n'est pas très grave, je vous rassure. Puis-je vous poser une question? Mon intention est loin de vouloir remettre votre fidélité envers moi en doute, mais simplement que je me demandais quelles sont les raisons d'une telle admiration envers moi? C'est vrai quoi... Regardez-moi : on m'attribue une image de tyran qui ne veut que pouvoir et domination, alors que pourtant c'est tout le contraire. Je ne cherche -presque- pas à avoir le dessus sur tout et je ne crois pas être si méchant que ça. Sans oublier les actes allant à l'encontre de la morale humaine que j'ai commis...

Sakura s'expliqua, à propos du fait que son admiration envers Sa Majesté semblait si démesurée. La soldate lui sortit quelques conneries comme par exemple que l'erreur était humaine, qu'il fallait vivre dans le présent plutôt que dans le passé et qu'il avait des qualités, qu'il ne fallait qu'apprendre à le connaître. Dawson eut envie de rire, mais ce dernier s'en empêcha, par simple politesse. Eh non, il n'était pas convaincu pour un sou! Mademoiselle disait que le souverain était humain et que les erreurs étaient bel et bien humaines. La seule chose qui ne lui avait pas traversé l'esprit, croyait-il, c'était que c'était immoral. En tant qu'humains, d'ailleurs, leurs devoirs étaient de ne pas rester indifférents à la souffrance de leurs prochains. Le monarque avait complètement bafouillé son devoir... Et puis pour son charabia de vivre au sein du monde présent, n'oubliait-elle pas que toute société existait et se basait directement sur ses racines? Le futur de Wonderland allait être de la merde, de la pure merde par la faute d'un pauvre connard qui eut crut bon de faire tous ces changements cruels et inutiles dans sa ville. Quant à ses qualités, soit elles étaient affreusement bien cachées, soit il n'en avait tout simplement pas.

La demoiselle se contenta ensuite de lui poser une question à son tour, sans sembler vraiment se préoccuper de ce que Dawson avait en tête à la suite de ses explications.

Cette dernière lui proposa indirectement des cours de danse. Le Shiro Asaki en fut surpris. Danser, lui? L'idée lui semblait bien amusante et rigolote. Le pauvre, il valsait si mal! On lui avait appris les bonnes manières et l'étiquette (même s'il ne suivait pas toujours ces derniers), mais jamais comment mener une danse. Encore moins comment la suivre, d'ailleurs!

Quoi qu'il ait pu en être, le roi ne voulait pas assister à des cours de danse sociale devant tous ces gens. Ne serait-ce pas très honteux? L'homme de la plus grande stature de Wonderland qui ne savait pas danser, c'était complètement idiot, bête, pathétique. À son nom, il ne voulait pas voir l'étiquette "Ridicule", juste à côté de celle de "Méchant tyrannique". Ce n'était pas avec de telles actions qu'il allait bien pouvoir redorer au moins un peu son blason...

—J’aimerais bien apprendre, cela m’éviterait bien des situations embarrassantes, mais pas maintenant… M’imaginez-vous, apprendre les pas de la valse, au milieu de cette foule de danseurs aguerris?