La pluie l'avait frappé alors qu'il était en ville. La chasse avait été affreusement mauvaise, les lièvres retournaient à leurs terriers, une fois les torrents déversés dans cette forêt de briques, de bétons et d'habitations, après tout. C'était peine perdue, il décida donc d'aller au camp, question de redevenir "Akemi", plutôt que de rester "Erwan" et d'affirmer que la chasse avait été vaine, cette soirée-là.

Une autre soirée, seul? Il n'allait pas pouvoir le supporter. Le blond allait devenir fou, sinon. Se sentir livré à soi-même, seul, face au dégoût de sa personne une nuit de plus? La goutte qui ferait déborder le vase, voilà ce qu'il en résulterait. Le général en tremblait déjà. L'alcool ne réussissait pas à combler le gouffre chaque fois. Celui-ci avait beau boire jusqu'à en gerber tout le reste de la nuit, mais ça ne fonctionnait qu'une fois sur deux... Pauvre type, ce dernier s'enfonçait toujours de plus en plus dans le Pathétique, art dans lequel il semblait être maître!

Il se rendit au camp à grands pas. Ses vêtements lui collaient à la peau, le haut-placé maudissait la pluie, la ville et même tous ses habitants à voix haute. Il dût passer au-travers la cour et du coin de l'oeil, Akemi vit une soldate. Son instinct de pauvre petit faon fragile -déguisé pourtant en cruel et méchant chacal- lui indiqua de courir, de fuir, question de s'épargner la honte de se retrouver face à face à un de ses collègues dans un tel état.

Le soldat alla directement se terrer dans sa chambre sans plus attendre, claquant sa porte si fort qu'il eut dû déranger les quelques gens qui devaient dormir déjà à cette heure.

Puis, ce dernier se mit à chercher. Chercher dans les tiroirs de son bureau, dans son garde-robe, partout partout dans sa chambre. Une bouteille de Jack ou même de vin, n'importe quoi ferait l'affaire. Ses plans pour ce soir? Boire tellement. Boire tellement, tellement qu'il se vomirait les tripes jusqu'au petit matin. Dans les meilleurs des cas, l'alcool aurait raison de lui et ses reins ne pourraient point en supporter plus. Bam. Plus rien.

Mais pour ça, fallait-il qu'Akemi trouve une bouteille d'alcool. Sa réserve serait déjà épuisée? Il jura avec quelques obscénités, donnant un coup de poing dans le mur du plus fort qu'il le put. Les voisins n'allaient pas l'apprécier... Mais cela le calma un peu, mais à peine pour quelques instants.

Puis, à la porte quelqu'un toqua trois petits coups. Après ces trois petits coups, la porte s'ouvrit. Une jolie demoiselle se trouvait dans le cadre. Akemi ne se retourna pas, s'efforçant de rester dos à la femme.

Putain qu'il était pitoyable, avec ses vêtements trempés et son air de chien battu -que Sakura ne voyait heureusement pas.

—T'as quoi? J'suis occupé.

Frissonnant un peu par la faute de ses cheveux et de ses vêtements mouillés qui lui donnaient froid, Akemi ne savait pas quoi répondre à la voix féminine qu'il avait entendu derrière lui. Et puis qui c'était, cette personne? Le général ne savait même pas à qui il avait affaire, pourquoi il allait parler? C'est vrai quoi! Monsieur allait toujours bien, de toute manière. Oui, parce que s'il allait bien, il aurait sorti une connerie du genre "Ah non, mes magnifiques cheveux! Ils sont mouillés! Ils vont onduler! Au secours!". Et là, sa coiffure était le moindre de ses soucis, pour l'instant. Asaki allait très bien, bien sûr! Pauvre chou.

Et vive le sarcasme! Vous avez cru quoi? Que moi, MOI, j'avais pitié de lui? Pauvres cons. Laissez-le. Qu'il comprenne à quel point il est réellement abandonné. Qu'il comprenne à quel point ça fait mal, d'être toujours seul, heh! C'est qu'un pleurnichard. Un pleurnichard qui ne mérite aucune attention, croyez-moi. Tenez-vous loin de ce bâtard, de ce looser.

Bon, c'était bien beau de rester planter là sans rien dire, à fixer le contenu d'un de ses tiroirs de bureau, mais il se devait de répondre à la demoiselle anonyme qui devait encore attendre dans le cadre de porte une réponse venant de son supérieur.

—Je n'ai pas frappé dans le mur, très chère. C'était le vent. Ne serait-ce pas inélégant de ma part, de laisser libre-court à ma frustration en devenant violent, après tout? Je suis un gentleman, pas une brute qui s'amuse à vandaliser.

Sa voix se faisait plus faible, moins puissante, moins charismatique qu'en temps normal. Simplement... plus calme. Beaucoup plus calme. Quelqu'un qui l'aurait bien connu aurait dû paniquer en voyant le soldat gradé dans cet état et l'aurait tenu loin d'objets bien tranchants! Oh pardon, j'heurte votre innocence quant aux réelles pensées qu'avaient Akemi, à ce moment-là ♥? La solitude et lui, ça ne le faisait pas du tout.

Mais bon, ce n'était pas suffisamment comme réponse, de toute manière. Ce qu'il aurait voulu, c'était simplement baiser une femme. Ça lui aurait fait un peu de compagnie, non? Oui, parce que jamais au grand jamais les demoiselles auraient voulu rester avec lui pour autre chose que le sexe. Ou sinon, celles qui se seraient risquées à un peu plus qu'une relation sexuelle avec lui auraient fui après peu, en voyant à quel point Asaki était horrible, monstrueux, désagréable et malcommode. Un peu comme son ex, qui avait dû sûrement se casser parce qu'il en pouvait plus de ce chien, peut-être? Non non, je ne suis pas méchant avec mes remarques dérisoires, ne dites pas cela.

D'un rapide revers de la main, il frotta ses yeux, question d'enlever de potentielles larmes qui avaient peut-être coulé, en tant que digne pleurnichard. Le soldat se retourna ensuite. Même après l'avoir reluquée de la tête au pied, la demoiselle ne lui disait absolument rien. Tout ce qu'il savait, en tout cas, c'était qu'elle était bien foutue et qu'il ne refuserait en aucun cas de se faire "réconforter" par celle-ci et d'avoir sa compagnie, le temps d'une nuit!

—Si je veux quelque chose? T'es bien roulée, mais rien en particulier, merci. Peut-être de l'alcool? Tequila, peut-être?

Son ton de voix était aussi faible que la dernière fois qu'il avait parlé, voire même encore moins. Pourquoi n'y allait-il pas? Pourquoi ne tentait-il pas de la convaincre de baiser? Sombre idiot, c'était sa chance.

Ou peut-être était-ce simplement que notre très cher dragueur voulait quelque chose d'un peu plus nouveau, heh. Vous savez, quelque chose que l'on appelle communément "avoir des rapports humains, échanger, interagir avec ses congénères". Ça, par exemple. Mais non, personne ne voudrait l'entendre chialer sur sa vie, qui en soit n'était pas si méchante que ça. Que voulez-vous, c'est ce qui arrive, lorsque l'on pense trop au passé.

Le sourire de la demoiselle énerva Akemi. Comment pouvait-elle rester aussi impassible après ce commentaire et ces regards lubriques qu'il lui lançait, la lorgnant de la tête aux pieds? Au moins, se disait-il, elle semblait se vouloir gentille auprès de lui, donc il calma son irritation. Bah, avec un peu de chances, elle allait finir au lit avec lui et Sakura resterait un peu plus longtemps. De toute manière, toutes les femmes étaient toutes des salopes. Tous des putes qui n'oseraient rester avec lui que pour une partie de jambes en l'air! Du moins, d'après ses expériences. Ne suivons pas cet exemple et ne mettons pas toutes ces magnifiques créatures dans le même panier, voulez-vous?

L'autre se dit qu'elle devait répondre à la requête du jeune homme, puis alla de l'autre côté pour aller chercher de l'alcool. Mais franchement, c'était que cette pauvre conne était complètement fêlée! On ne donne pas de la drogue à un drogué, au même titre qu'on ne donne pas de l'alcool à un alcoolique.

Mais c'était au plus grand bonheur de monsieur-je-bois-pour-noyer-ma-solitude, pour tout vous dire. Jamais il ne réussirait à jeûner, jamais il ne tenterait le coup non plus. Son alcoolisme était devenu à un stade si grave que sa santé en subissait parfois les conséquences. Il le savait plus que trop bien, mais il n'avait jamais tenté d'arrêter. Même que cela ne lui était jamais venu à l'esprit! Les connards dans son genre, ils sont irrécupérables. Ne cherchez pas. Il ne guérira pas, tant qu'il n'aura pas quelque chose pour remplacer l'ivresse.

La demoiselle dite bien foutue revenu, deux bouteilles à la main. Tequila et vin rouge. Ils pouvaient très bien boire chacun une bouteille! La soldate le vin, et le général, l'alcool le plus fort pour lui seul. Certes, boire autant de cette boisson aussi forte en une soirée vous semble probablement excessif, mais plus tôt, je vous l'ai mentionné. Il avait l'intention de boire jusqu'à s'en vomir les tripes. Il s'en fichait de l'autre, c'était de sa faute, si Akemi abusait de l'alcool encore une fois, c'était sur le dos de la soldate qu'il fallait rejeter la faute.

La fautive lui lança deux serviettes. Après s'être essuyé le visage, il se déshabilla, comme ça devant elle, sans aucune gêne, avant de se revêtir de vêtements secs. Franchement, la pudeur dans de moments pareils, ça n'existait plus.

Celle-ci servit ensuite le nombre de verres correspondant aux nombres de personnes dans la pièce. Oh quoi, elle allait boire? Faire boire les femmes avant de les ramener était l'arme ultime d'Asaki pour les convaincre de se laisser faire. Sauf que malheureusement pour monsieur, l'envie du sexe n'était pas vraiment là, cette nuit.

Eh bien non, certes les formes de la soldate non-gradée lui étaient très agréable à l'oeil, mais l'envie de la mettre à nue, de la dévorer des yeux en son dévêtu, ne l'intéressait point. Peut-être que le lendemain, l'idée lui aurait bien dit, mais ce n'était pas le cas pour ce soir. Pour tout dire, c'était lui qui était mis à nu. Au sens figuré, bien évidemment. On l'avait déshabillé de sa personnalité forte et agressive. Sous cette personne imbattable, ferme et hardie, Sakura le voyait en toute sa laideur. Un pauvre type sans couilles, un pleurnichard, un gémissant. Que quelqu'un lui foute une baffe, qu'il retrouve son état dit "normal".

Trêve de bavardage à propos des états d'âme de notre cher faiblard, revenons-en aux faits de cette soirée. Ce n'est guère important, comment il se sent dans sa tête, après tout! Cherchons le concret, le concret de ses faits et gestes.

Le jeune homme alla prendre le verre de tequila, préférant s'en tenir aux alcools forts, plutôt qu'aux vins sophistiqués. Il en but une gorgée, sans aucune retenue. L'alcoolique aurait bu cul-sec sans problème, l'effet d'ébriété lui aurait éclaté en pleine figure un peu plus tard, mais il cherchait soulagement graduel. Petit à petit.

—Et donc, tu m'expliques pourquoi tu t'obstines à rester là, heh?

Franchement, il n'y avait rien à voir. Rien à voir sauf un Akemi beaucoup plus faible, fragile. Un général facilement abattable, presque sur le bord des larmes.

Cette femme était clairement une sadique. Une sadique se repaissant de la douleur, de la souffrance et de la faiblesse des autres, oui!

Akemi fut franchement surpris de voir mademoiselle boire au goulot de la bouteille de ce vin. Ce vin si expansif, bu ainsi, comme si ce n'était que de l'eau. Quelle ivrogne! Enfin, ils allaient bien s'entendre, Akemi et Sakura. Même si monsieur restait d'avis qu'une femme se devait d'être bien posée en tout temps, qu'elles devaient se montrer en tout temps posées et à leur place, il aimait bien la voir faire un peu comme lui, dans ses heures perdues, noyées dans une solitude bien teigneuse. Cela lui arracha même un petit sourire, mais le général ne se permit pas pour autant de boire à même la bouteille, comme à ses habitudes. Il n'était pas seul, après tout. Fort heureusement! Ou malheureusement, pour les plus méchants d'entre vous, vis-à-vis ce cassos.

La sans-gêne alla s'asseoir sur le bureau du général. Quant au jeune homme, il prit plutôt son verre et la bouteille pour aller plutôt sur le lit aux draps d'un rouge bourgogne, bien plus confortable que la table.

La soldate lui dit qu'il était en cause de tout ça. Parce que "monsieur", comme elle l'avait dit, avait décidé de passer sa frustration en frappant dans le mur. Ne savait-elle pas que seul moi, humble et trou du cul narrateur que je suis, est le seul et l'unique à l'appeler par ce petit nom? Enfin bref, malheureusement je n'y pouvais rien, je ne suis qu'un simple rapporteur de faits, voyez-vous... Mais passons; celle-ci lui dit également que lorsqu'on lui proposait un peu d'alcool, elle ne savait point refuser. Malheureusement pour elle, ces reproches déguisés en une simple remarque à la con contraria MONSIEUR le susceptible.

—Ta gueule pauv' conne. Je t'ai dit que c'était le vent. Écoute quand on te parle.

Après quelques gorgées du liquide qui allait tôt ou tard la saouler, elle lâcha que c'était ennuyeux de se retrouver seul, lorsque nous étions tirés du sommeil. Que la solitude était fastidieuse. Au moins, cette dernière ne savait pas à quel point le poids de l'isolement était décuplé, une fois la dépendance à l'affection et l'amour s'étant emparée de soi. Asaki ne chercha même pas à répondre, il ne fit que fixer la liqueur légèrement ambrée dans son verre.

Une ou deux minutes passèrent silencieusement. Le haut-gradé but en entier en quelques lampées la rasade du récipient. L'alcoolique se resservit un verre, mais il n'en avala pas tout le contenu immédiatement. Celui-ci ne fit que lever les yeux vers la demoiselle à la poitrine bien fournie. Elle souriait. Même après ce qu'il avait dit. C'est ce qui le fit regretter ses mots.

Croyez-le ou non, mais le jeune homme bien imbu de lui-même et orgueilleux allait s'excuser. L'ivresse ne s'était pas vraiment emparée de lui, c'était simplement que cette femme était gentille. Sadique à force de rester là à le regarder se tourmenter avec problèmes du passé et manque d'affection, mais franchement sympathique et agréable.

Sakura eut droit à un sourire venant de cet homme habituellement si sérieux. Pas un horrible rictus méchant qu'il avait l'habitude d'offrir à ses sous-fifres, non non. Un sourire franc, auquel on pouvait accorder certainement une pointe de malaise et un soupçon d'embarrassement. Franchement, le voir sourire ainsi, ça me donnait moi aussi envie de sourire. Mais ça, gardez ça pour vous, imbéciles!

—Euh... Franchement désolé, mademoiselle...?

Dans sa phrase, de son intonation il voulait faire comprendre à la femme de compléter sa phrase par son prénom. Oui parce qu'au final, il ne connaissait pas le prénom de celle-ci, et elle non plus ne devait sans doute pas connaître celui de son interlocuteur. Probablement que Yoshida connaissait son nom de famille, puisque tous les soldats l'appelaient "Général Asaki", sans même savoir comment il s'appelait.

La femme devant lui semblait bien aimer bien sourire. Ça détendait l'ambiance un peu tendue qui flottait presque toujours autour de l'autre, au moins. Il devina aussitôt que Sakura était le genre de personne qui dégageait cette énergie rassurante que l'on retrouvait que chez peu de personnes. Pour tout vous avouer, c'est le genre de personnes qu'il aimait bien avoir à ses côtés. Le problème était simplement de les garder justement auprès de lui. Avec sa personnalité merdique, pour avoir de leur compagnie, il devait les ligoter et les enfermer là où ils ne s'enfuiraient jamais. Sauf qu'au lieu de ça, il s'accrochait tout simplement désespérément à ceux-ci, avec l'espoir qu'ils ne l'abandonnent pas, ce qui arrivait d'ailleurs trois fois sur quatre.

Sakura lui demanda aussi son prénom, sans doute par simple politesse, puisque son interlocuteur en avait fait de même. Il lui répondit simplement, ne cherchant pas à engager plus la conversation.

Par la suite, celle-ci se leva du bureau pour plutôt prendre place sur le lit, assise aux côtés de son supérieur. Pas un mot ne fut dit de la part du jeune homme. Il ne laissa pas même son regard se glisser de la cuisse de la demoiselle jusqu'à sa poitrine, bien trop occupé de toute façon à se perdre dans des pensées un peu noires.

Graduellement, peu à peu, sans qu'elle ou lui ne se rende compte de rien, Akemi allait un peu mieux. Comme cité plus haut, Yoshida était le genre de personne qui savait se faire apaisante, même sans parler. De toute manière, on dit que le silence est d'or. Alors lorsqu'elle prenait la parole pour réconforter, ce devait être encore meilleur. Si?

Il soupira, cherchant désormais quelque chose à dire. Le silence dans lequel ils étaient tous les deux lui était bien agréable, mais pour la jeune femme aux cheveux roses, ce devait être bien pénible, de simplement être là, sans parler ni rien faire.

—Et donc… Que faites-vous dans les bâtiments des dortoirs des hauts-placés? Si je ne m’abuse, vous êtes une soldate non gradée.

L'hypocrite... J'adore ça. Ce fut la seule pensée qui lui traversa l'esprit. Lui-même était hypocrite, d'ailleurs! Ah, c'était qu'ils étaient faits pour bien s'entendre. En plus, le meilleur dans tout ça c'était qu'elle avait une poitrine bien généreuse, exactement comme il aimait. Tout souriait à une future amitié. Surtout pour la grosse poitrine, je vous rassure.

Ensuite, la demoiselle lui posa une question toute simple, à laquelle le général ne savait quoi répondre. Dire la vérité le rendrait bien pitoyable. Mais se confier le rendrait un peu plus apaisé. Et faire un pas vers elle pourrait le mener à sa perte. Pas tout de suite... Ne craque pas, imbécile. C'est pas parce qu'elle est rassurante que tu dois te jeter dans le feu pour elle avec l'espoir de ne pas brûler. Eh ouais... C'était, pour l'instant, les seules paroles qu'elle lui inspirait.

Il prit quelques secondes, question de bâtir un mensonge crédible et digne de ce nom. Si elle parvenait à voir la supercherie, monsieur allait devoir tout avouer. Et en tant que digne faiblard de première, en racontant tout, Akemi allait fondre en larmes. Croyez-le ou non, mais c'est bien son genre. J'aurais bien aimé vous dire que ce sont les mêmes larmes que celles que les crocodiles laissent couler, pourtant sans aucune tristesse, après avoir dévoré une proie, mais j'ai pour principes de ne jamais vous détourner de la réalité.

Après avoir fixé le sol, en quête d'une réponse valable, le blond leva la tête vers la femme.
—Moi? J'étais sorti en ville. Vous savez, peu avant ce véritable déluge, il faisait très beau. J'avais simplement décidé de... sortir un peu, sentir la brise sur ma joue, respirer l'air frais, profiter des instants du beau temps que nous offrait cette splendide journée.

Putain qu'il était bon pour jouer avec les mots. Il faisait paraître comme quoi cette journée-ci lui plaisait bien, alors que c'était tout le contraire. Mais cette ruse avait bien des failles... Peut-être que mademoiselle allait les trouver, comme peut-être qu'elle était trop stupide ou idiote pour ça. Il y avait à peine une dizaine de minutes, Sakura avait vu Asaki si inhabituellement calme, alors que maintenant, celui-ci jouait le rôle d'un homme plutôt heureux - ce qu'il aurait pu être réellement très facilement. Fort heureusement, le général avait feint tant de fois des émotions qu'il ne ressentait pas vraiment, que son imitation semblait presque parfaite.

Le sourire de la femme disparut instantanément, lorsque celle-ci se redressa. Le regard qu'elle affichait au général était complètement froid, Akemi s'en sentit aussitôt intimidé, chose qui ne le ressemblait pas. Immédiatement, celui-ci détourna le regard en se mettant à fixer ses chaussures, cherchant à éviter les yeux de Sakura.

Yoshida lança tout ce qu'elle avait en tête à propos de lui et de son mensonge. Le général ne s'en sentit que plus mal. Avalant nerveusement sa salive, il l'écouta. Le blondinet commença à trembler comme une feuille, n'arrivant pas à trouver quoi faire ni comment réagir. En temps normal, le jeune homme aurait trouvé une solution et aurait sorti l'une de ces répliques cinglantes, mais ils n'étaient pas dans ces "temps normaux" : le soldat était encore un peu effrayé malgré la présence de l'autre et il sentait une grosse boule de tristesse dans sa gorge. L'invulnérabilité était le pire des châtiments, pour ce dernier... À chaque fois que cela lui arrivait, il se mettait à trembler, tous ses mouvements devenaient en un instant impossibles et tous ses membres s'engourdissaient. En bref, comme une proie se serait pétrifiée face à une attaque surprise venant d'un prédateur.

Asaki eut droit finalement à une pause, Sakura cessa quelques secondes de parler. Mais tout au long de ce moment de répit, il ne fit qu'attendre qu'on lui assène le coup final, plutôt que d'en profiter pour reprendre ses esprits et démentir tout ce qu'elle disait, question de se sauver la face.

D'un ton qui parut toujours aussi fielleux à son interlocuteur, Sakura enchaîna ses propos. Akemi ne put s'empêcher de hoqueter un petit sanglot. On aurait dit un gamin qui se faisait réprimander par sa mère, c'était absolument pathétique. Cela tombait cependant sous le sens, puisqu'il était faible comme un simple môme, à cet instant précis.

Son discours impitoyable eut finalement une fin, mais ne laissa pas pour autant le haut-gradé indemne, il était aussi mal en point que lorsque la demoiselle avait commencé à parler. Le blond était sans voix. Même s'il avait voulu parler, il savait pertinemment qu'aucun son ne serait sorti de sa bouche. Et puis, s'il avait voulu parler, qu'aurait-il réellement dit, voilà quelle était la véritable question.

Il tenta malgré tout de répondre à la soldate, ne voulant pas la décevoir une seconde fois en ne lui répondant pas. Sa tête ne se releva pas, inlassablement, ses yeux fixaient le plancher, seule échappatoire au regard probablement acharné et réprimandant de l'autre.

Sa bouche s'ouvrit. Faiblement, presque sans convictions, des mots brisèrent le fragile silence.
—C'est que... j'ai peur. Peur de dire ce que je ressens... Pourquoi n'arrive-je pas être l'homme cruel et insensible de l'image que je tente sans cesse de me donner? Ça fait de moi un mauvais général...

Son regard se releva légèrement du sol, mais ses tremblements n'avaient pas cessé. Après avoir laissé échapper un petit sanglot, il reparla. Sa voix semblait même un peu plus confiante, même si cela ne trahissait point son abattement.

—J'ai du mal à... me confier, tu vois. Les gens, ce sont tous des connards, autant qu'ils sont, après tout. Autant moi que toi, que les rebelles, les fidèles... Ça se retourne toujours contre soi, si on se confie à eux. Il ne faut pas voir le genre humain en entier comme une grande communauté aimante, mais bien comme des chiens qui s'entre-tuent pour obtenir le moindre petit bout de viande qu'on leur tend. C'est à ça que se résume l'Humanité... Et je ne m'exclus en aucun cas là-dedans.

Depuis des années déjà, il ne s'était pas confié à personne. Avant, la chose qui jouait bien ce rôle, c'était l'écriture, la poésie, chose qui avait fait partie intégrante de son adolescence. Mais dès que celui-ci avait revêtu l'uniforme militaire, il avait complètement cessé d'écrire. C'était peut-être l'une des nombreuses choses que manquait Akemi dans sa vie : un passe-temps, une passion dans laquelle il pourrait se donner à fond, au point d'en oublier ses problèmes.

Sakura entoura Akemi de ses bras pour le réconforter. Il eut un mouvement de recul, mais se laissa tout de même faire. Celle-ci semblait le prendre en pitié, chose qui l'aurait irrité en temps normal. Néanmoins, cette fois-ci, il était resté calme et n'avait surtout pas pété un plomb. Réaction qu'il aurait sans doute eue en temps normal.

La voix de la jeune femme brisa le silence qui avait commencé à s'installer dans la pièce. Alors qu'elle lui disait quelques mots pour l'apaiser, celui-ci ne l'écoutait pas réellement : c'était le timbre de sa voix qui avait capté son attention, plutôt. Yoshida avait une belle voix, et lorsque doublé de cette intonation douce, c'était mieux encore. Asaki n'avait même pas écouté la moitié de son discours, mais ce dernier avait tout de même perçu quelques bribes. Le général avait seulement comprit d'après ce qu'elle avait dit qu'elle était là, s'il voulait parler.

Encore blotti contre elle, dans ses bras, il releva la tête pour la regarder. Se confier? À elle? Sans même craindre qu'elle répète tout? Tss. Il n'y croyait pas une seule seconde. Puis franchement, qu'allait-il lui dire, si ce n'était que ce sentiment de grand vide qui le pourchassait, nuits après nuits, lorsque personne n'occupait la place à ses côtés, dans son lit? Que comme seule arme pour contrer ce monstre qui dévorait presque tout sur son passage, en lui, il utilisait l'alcool? Rien n'allait changer, s'il lui disait tout cela. Cette femme n'allait rien pouvoir y changer, de toute manière. Cependant, quelque chose le poussait à avoir envie d'en parler. Les feuilles de papier et un crayon n'étaient probablement pas les seuls confidents de confiance, il s'en doutait, mais il se méfiait de Sakura.

Ou alors, ils pouvaient faire un marché. Si elle lui disait quelque chose de secret, en rapport avec elle-même et qui la tourmentait, probablement que le blond aurait été capable de lui parler un peu. Simplement pour savoir que si elle avait des informations à au propos de sa personne qui pourraient s'avérer fatales si divulguées, il aurait une façon de contre-attaquer lui aussi.

—J’veux bien me confier si… tu te confies aussi un peu à moi avant. J'aurai réellement confiance en toi.

Le silence, qui s'amusait à placer un malaise presque palpable dans l'air, fut finalement détrôné : Sakura parla. Cette fois-ci, contrairement à la dernière fois où celle-ci avait parlé, Akemi l'écouta.

Il réalisa ainsi qu'il était franchement con de s'embêter avec un passé pas si désastreux que ça. Après tout, le général était né dans une famille ni trop riche, ni trop pauvre, mais suffisamment aisée pour pouvoir lui acheter tout ce qu'il voulait. Oui, ce dernier n'avait jamais passé trop de temps avec ses parents, ceux-ci leur disant à tout bout de champs qu'ils étaient trop exténués pour passer un peu de temps avec lui et Asaki n'avait jamais eu non plus réellement beaucoup d'amis pour lui tenir compagnie, mais personne dans son entourage pendant son enfance n'était mort pour autant. En effet, le soldat avait décroché très tôt l'école parce que c'était un raté et, pour occuper ses journées, il faisait quelques jobs par-ci par-là, mais encore là, ce n'était rien de catastrophique. Puis, ses parents lui avaient gentiment recommandé d'aller s'enrôler pour aller se faire tuer dans la guerre. Et le bouquet final, la personne qu'il avait aimée s'était volatilisée! Deux fois plutôt qu'une, d'ailleurs. Mais ça, ce n'était rien, si l'on comparait au passé de Sakura. Asaki n'osait plus trop dire ce qui n'allait pas, désormais. Même si la cause de son état actuel était surtout dû à ce vide, qui était maintenant comblé par la simple présence de Sakura.

La soldate avait cessé de parler, c'était au tour du jeune homme. Celui-ci ne sut plus du tout quoi dire, on lui avait extirpé les mots de la bouche. Il poussa un petit soupir, puis se recula, de façon à ne plus être dans les bras de celle qui aurait eu bien de meilleures raisons que lui pour être alcoolique.

Maintenant, il devait dire quelque chose, sinon le silence allait s'immiscer facilement entre eux deux et elle croirait qu'il ne faisait que s'amuser avec elle et la manipuler.

—Vide, simplement. Un gouffre s'ouvre en moi au moment où je me retrouve seul, le soir et la nuit. La rumeur court parfois que je couche souvent avec des femmes que je croise au bar, ce n'est pas pour rien.

Voilà, il y était allé direct au but. Sans chercher à creuser dans son passé, qui faisait (heureusement) bien banal, à côté de celui de Sakura. De toute manière, ça aurait été dommage qu'elle sache qu'il ne faisait que pleurer pour rien...

Les silences gênants semblaient bien aimer leur rendre visite on aurait pu croire, cette soirée-ci. Entre chaque chose qu'ils disaient, celui-ci prenait place et devenait maître de la place, jusqu'à ce que l'un ou l'autre décide d'ouvrir la bouche.

Ce fut Sakura qui parla. Cette dernière lui expliqua qu'elle aimerait bien l'aider, mais qu'elle ne savait pas comment. Dans son ton de voix, le général y décela quelque chose qui l'énervait au plus haut point : de la pitié. Le blond tenta malgré tout de garder son calme, ne voulant pas s'énerver. C'était donc cela que ça faisait, se confier? Votre interlocuteur vous prenait en pitié pour des choses aussi minime? Plus jamais je ne parlerai de moi pour me confier alors, se dit-il, lançant un regard un peu désapprobateur du coin de l'oeil à Sakura.

—Je n'ai pas besoin d'aide. Je sais me débrouiller tout seul, je crois que je ne suis plus un gamin. Les femmes sont le remède à tous les maux, après tout, ce n'est pas pour rien que je me débrouille pour en avoir une au lit le plus souvent possible. Et ce, même si elles ont beau être toutes de belles connasses.

Sa voix était froide, cherchant à redevenir impassible et à ne plus être aussi personnel avec cette demoiselle qui, selon lui, l'avait pris en pitié. Il l'avait insultée indirectement puisque celle-ci était une dame, mais il en avait rien à foutre. Ce n'était pas parce que mademoiselle lui avait prêté oreille attentive que cela allait changer ces quelques avis légèrement misogynes. Ses expériences personnelles avec le sexe féminin l'avait conduit à ces conclusions hâtives, ce n'était pas la première venue qui allait lui faire changer sa façon de penser qu'il avait depuis déjà longtemps. Malgré ces pensées, cela ne l'empêchait pas pour autant de se sentir obligé de protéger une femme en détresse, ce qui pouvait bien sembler contradictoire.

Il se leva pour aller s'asseoir à sa chaise devant son bureau, dos à elle, comme pour s'éloigner de Yoshida et par le fait même, de cette compassion injustifiée. Akemi avait beau adorer avoir l'attention des autres, mais la pitié n'était sans aucun cas ce qu'il recherchait. Surtout qu'il se trouvait bien pathétique : avoir la phobie de se retrouver un peu seul ou d'être abandonné n'était pas très normal, surtout dans son cas. Vu comment il se prenait la tête avec ça et ce qu'il faisait pour combler le gouffre en particulier... quitte à nuire à sa propre santé, vu tout l'alcool qu'il pouvait ingurgiter en une seule soirée pour se sentir un peu moins seul.

—Je n'ai pas envie d'être pris en pitié, merci. Grâce à toi, je sais désormais pourquoi je ne veux jamais me confier : les gens ont l'habitude d'amplifier les problèmes des autres, question de pouvoir se faire passer pour le grand sauveur de la situation ou même de tenter de démontrer à quel point ils sont bons et gentils. J'imagine que tu m'as serré dans tes bras tout à l'heure pour ça, non?

Celle à qui il s'était confié et qu'il avait accusée à tort se leva du lit. D'une voix cassante et froide, elle se défendit. Le général n'osa pas répondre ni se retourner. Il regrettait déjà ses mots. Comme tant de fois, ce dernier avait parlé sans penser un peu avant d'ouvrir la bouche. Toutes les femmes n'étaient pas des connasses, Sakura, elle, était gentille. Elle lui avait même proposé de se soulager la conscience en le laissant lui parler de ce qui le tracassait. Mais bien évidemment, le blond avait réussi à tout faire foirer.

Elle partit, sans même se retourner. De toute manière, Akemi ne s'était pas levé non plus vers elle pour l'arrêter. Sa fierté le clouait à sa chaise de bureau et son orgueil l'empêchait d'articuler les moindres excuses. Cela ne l'empêchait malgré tout pas pour autant de regretter amèrement d'avoir été aussi injuste avec cette femme qui n'avait voulu que lui donner un coup de main.

Il eut une idée pour offrir ses excuses à la demoiselle. Une idée qui ne requerrait pas de parler et de devoir demander pardon à cette personne qui nous verrait, par le fait même, vulnérable. Une lettre, simplement. Cela n'allait probablement pas paraître aussi sincère que des paroles, mais il croyait que cela allait faire le travail...

Donc, tout juste avant d'essayer de trouver le sommeil, il écrit sur un bout de papier un petit « désolé et merci pour tout » et signa son nom à la fin. Asaki allait donner cette lettre à un soldat au hasard qui allait donner cette enveloppe à sa destinatrice, puis le problème allait être réglé! Du moins, si cette dernière réussissait à lire ce qui était écrit, vu comment Akemi écrivait mal...